Altamusica.com · 15 janvier 2001 · LA DIDONE

Altamusica.com · 15 janvier 2001 · LA DIDONE
ÉRIC VIGNER joue avec les références comme avec des pinceaux. Par touches délicates.
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Critiques
Sylvie Bonier
15 Jan 2001
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15 janvier 2001 · Sylvie Bonier

La Didone en habit de rhinocéros

La nouvelle production de la scène romande révèle un spectacle déroutant, attachant et d'une grande sensibilité. Le cheval de Troie s'africanise pour se transformer en rhinocéros alors que dieux et humains se livrent un combat d'une grande douceur.

On attendait le metteur en scène de théâtre Éric Vigner dans sa première intervention à l'opéra. Les débuts lyriques du Français se révèlent prometteurs. La Didone de Francesco Cavalli qu'il vient de proposer à Lausanne est à décrypter comme un palimpseste: les différentes couches de lectures dégagées au fil de l'oeuvre inissent par former un tableau d'une étrange et séduisante décomposition. L'oeuvre s'efface en effet au fur et à mesure qu'elle se construit, à travers des images qui s'impriment pourtant dans la mémoire de façon indéfectible.

A priori, rien n'invite le spectateur à reconnaître visuellement ce que le livret (les très beaux textes de Busenello) et l'histoire tirée de l'Enéide de Virgile racontent. Complètement sortie de son contexte historique ou mythique, cette Didone navigue en terres d'onirisme. Un gigantesque rhinocéros couché de dos dans une excavation demeure le seul lien qui tient les éléments entre eux, sorte de vestige animal remontant du passé et représentation de l'anéantissement d'une vie originelle retournant à la terre. Point de cheval de Troie donc, ni de baroqueries d'époque, mais le souci constant de traverser les continents et les époques en restant accroché à l'humanité seule.

Entre une Venise symbolisée par les musiciens et chanteurs masqués, une Afrique et une Asie dont les costumes dépareillés suggèrent les décadences et un temps qui plane entre ses trois états, ÉRIC VIGNER joue avec les références comme avec des pinceaux. Par touches délicates. Remarquable travail de mise en perspective, cette lecture souligne l'errance (des départs, des arrivées, toujours lents, en silence), la douleur (les mises au tombeau et toilettes des morts du début sont d'une terrible beauté) et le renouveau (couleurs vives, jeux amoureux d'une grande sensualité). On reste sans cesse dans un rapport étroit entre transparence et opacité grâce à des rideaux de plastique transparent qui coulissent sur l'action pour la révéler et la dissimuler tout à la fois. Subtil et hypersensible, le procédé finit par dégager un charme que l'originalité parfois abrupte ne détruit pas. C'est que la musique est toujours respectée, les chanteurs n'étant jamais poussés à utiliser leur corps contre leur voix.

Dans la fosse, Christophe Rousset et ses Talens lyriques compensent la déstabilisation scénique par une interprétation toute en délicatesse qui sait conserver l'équilibre entre ton de danse et lamentations poignantes. Sonorités fruitées, articulation fine, énergie idéalement dosée : la musique est limpide et coule comme une source. Quant à la distribution, elle est un délice: la Colombienne Juanita Lascarro (Didone, Creusa) se révèle aussi belle actrice que bonne musicienne, le Finlandais Topi Lehtipuu, un Enée touchant, le britannique Ivan Ludlow un formidable Iarba et tout leur cortège de dieux et déesses d'une santé vocale à toute épreuve. Bénis du ciel.