Rappeler la légende d’origine, c’est retrouver la colère, la passion, l’élan du désir pur et indomptable confronté à la brutalité d’un monde cruel, et se brancher sur l’énergie vive de la jeunesse dans l’éclosion de sa pleine immaturité.
TRISTAN
Présentation
De Tristan et Iseult, on se souvient d’un philtre d’amour, de bateaux traversant les mers, d’une voile noire ou blanche, d’une épée séparant des corps endormis, de ronces éternelles entrelaçant les tombes des amants, d’une violente nature, forêt, lande, rocs, âpres et sauvages, du vent, des chiens et d’un cheveu d’or dans le bec d’une hirondelle. Il ne s’agit pas de raconter tous les épisodes connus de la fable mais de recomposer les fragments d’un discours amoureux entre Iseult et Tristan. De l’inachevé de ce mythe originel, en réécrire la part manquante, celle qui reste à inventer ici et maintenant. Et en rendre compte. Sensiblement.
Extrait du parcours
"Les héros et les héroînes reviennent pour redire leurs petites histoires
Mais ils sont de plus en plus fatigués
De moins en moins dessinés
Ils sont effacés
Ils ont tendance à disparaître
Aprés avoir beaucoup parlé
Beaucoup agi"[1]
Rappeler Tristan
"Vieux de mille ans, les voix ardentes d’Iseult, de Tristan et de Marc reviennent sur la scène du théâtre d’aujourd’hui. Figures incandescentes rappelées à nous, on les a néanmoins toujours considérées comme des êtres lointains et perdus depuis des siècles, portés par une oralité qui n’avait sa place à côté du texte écrit. Alors on les a oubliées. Non pas leur existence, mais ce qu’ils étaient, ce dont ils étaient la genèse. Marc, Iseult, Tristan : trois personnages d’une passion impossible qui allaient générer toute la veine de la littérature amoureuse.
Écrire Tristan, c’est puiser à la source de ce mythe. Le texte d’Éric Vigner - le premier qu’il couche sur le papier - est la partition intime d’un metteur en scène plasticien amoureux de la littérature, une œuvre ancrée dans le monde réel dont elle se veut être un miroir. Le mythe dont il prolonge la mémoire se transforme pour écrire son théâtre intime et en inventer sa part manquante. Éric Vigner a réuni de jeunes acteurs pour lesquels il a écrit ce texte. Comment la jeunesse d’aujourd’hui, née après Hiroshima, après Sarajevo, celle de Gaza, celle de Guantanamo, reprend cette histoire d’amour ancestrale. Mille ans les séparent de la cour de Tintagel. La forêt du Morois, dans une précipitation condensée du temps et de l’espace, devient celle des contrées lointaines, celle des déserts afghans, du Mali, du Grand Nord alaskien, into the wild.
Écrire aujourd’hui l’histoire de Tristan sur la scène du théâtre, c’est reprendre le poème éternel de l’amour et de la mort. É́ric Vigner le met en scène dans l’esthétique qu’il a développée depuis plusieurs années, de La BÊte dans la jungle à Orlando. De même que Tristan traverse l’histoire de la littérature, le metteur en scène rappelle les éléments fondamentaux de son vocabulaire esthétique."
OLIVIER DHÉNIN
De Tristan et Iseult, on se souvient d’un philtre d’amour, de bateaux traversant les mers, d’une voile noire ou blanche, d’une épée séparant des corps endormis, de ronces éternelles entrelaçant les tombes des amants, d’une violente nature, forêt, lande, rocs, âpres et sauvages, du vent, des chiens et d’un cheveu d’or dans le bec d’une hirondelle. Pour Éric Vigner il ne s’agit pas de raconter tous les épisodes connus de la fable mais de recomposer les fragments.
"On inventera un modèle unique
Un attelage triangulaire qui tient par la symétrie et l’équilibre
Dans l’exactitude équilatérale de sa forme parfaite et impénétrable.
Tristan, Marc, Iseult."[1]
"Il n’y a pas en effet un livre qui serait l’histoire de Tristan et Iseult mais une multitude de fragments qui sont réunis pour la première fois par un spécialiste du monde médiéval Joseph Bédier au début du 20ème siècle. Mon projet n’est pas de raconter tous les épisodes de la
fable mais de voir ce qu’il en reste et de la confronter à la jeunesse. Ce qui me passionne c’est l’inachevé originel de ce mythe et sa capacité de se transformer. Avoir travaillé Orlando de Haendel dont la source originelle est le poème d'Arioste au début du 16ème siècle me conduit à désirer rencontrer Tristan. Je voudrais créer une dramaturgie plastique qui exalte la palette du sentiment amoureux qui va de la naissance du désir à la folie suicidaire. Pour Tristan, ma démarche est proche de celle de la construction d’un opéra, avec du texte bien sûr puisque c’est un récit de tradition orale, mais où la musique et le chant sont très présents – c’est par le chant qu’Iseult guérit Tristan. Le Moyen Âge est le monde de l’enluminure, du livre d’heures. Le spectacle se développera par tableaux, par chapitres, qu’ils soient purement plastiques, musicaux ou théâtraux."
Éric Vigner
"L’image est une création pure de l’esprit. Elle ne peut naître d’une comparaison, mais du rapprochement de deux réalités plus ou moins éloignées. Plus les rapports des deux réalités rapprochées seront lointains et justes, plus l’image sera forte - plus elle aura de puissance émotive et de réalité poétique."[2]
Pierre Reverdy
"Je crois qu'après l'Holocauste et Hiroshima, nous sommes arrivés au siècle du retour à l'état sauvage, à la barbarie initiale. Pour un jeune de 20 ans, je crois que la perception du monde est effrayante. Le Tristan d'aujourd'hui regarde le monde avec une conscience froide.
J'ai le sentiment que si une jeune fille se suicide, de nos jours, elle ne le fera pas comme il y a vingt ans, mais de façon plus consciente, plus sacrificielle. Cela n'incite pas à l'optimisme. Les figures héroïques - comme le petit homme seul face aux chars de la place Tiananmen - sont admirables mais fatiguées. Tristan ne sait pas si cela vaut encore la peine de se battre, et c'est pour cela qu'il passe le relais à Marc, qui a, lui, une autre perception du monde, qui est prêt à aller vers une galaxie inconnue, qui est conscient que la perception du réel est en train de changer radicalement."
Éric Vigner
"La barbarie est de nouveau la
Et il n'y aura pas d'autre possibilité que de la vivre
Jusqu'au bout"[1]
[2] MANIFEST DU SURRÉALISME, ANDRÉ BRETON, 1924
© Photographies : Alain Fonteray, Jean-Louis Fernandez
Textes assemblés par Jutta Johanna Weiss