Le Quotidien de Paris · 9 décembre 1993 · LA PLUIE D'ÉTÉ

Le Quotidien de Paris · 9 décembre 1993 · LA PLUIE D'ÉTÉ
Une intransigeance vraie.
Presse régionale
Critique
Armelle Héliot
09 Dec 1993
Le Quotidien de Paris
Langue: Français
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Le Quotidien de Paris

9 décembre 1993 · A. H.

Trop d'amour

ÉRIC VIGNER a du talent. Une intransigeance vraie. Qu'on adhère ou non complètement à ses spectacles, il est indéniablement un jeune homme de théâtre très interessant et intelligent. Cette version pour la scène de LA PLUIE D'ÉTÉ a sa beauté, sa rigueur et sa grâce. Avant le livre LA PLUIE D'ÉTÉ, il y a eu d'autres versions. A l'origine du déclenchement à l'écriture, pour ce que l'on sait, une phrase, une phrase enfantine et magnifique, une phrase à clouer le bec à tous les phraseurs. C'est un enfant, et il dit : "Je ne retournerai plus jamais à l'école, on m'apprend des choses que je ne sais pas."

Ah ! C'est vert comme un paradis un aveu comme cela, non? Et ça germe. Et cela peut faire naître un conte pour enfants, un court métrage des cinéastes Jean-Marie Straub et Danièle Huilier, un film de MARGUERITE DURAS (les Enfants), un livre de MARGUERITE DURAS (LA PLUIE D'ÉTÉ). Et un tel livre, pour peu que l'on s'y plonge, donne envie d'autre chose encore. C'est comme une chambre d'écho ouverte à l'infini et qui à l'infini peut être répétée, par d'autres. Circulez, il y a beaucoup à dire encore, et à rêver.

C'est ce geste, sans doute, qui organise le désir d'ÉRIC VIGNER et de ses jeunes camarades. Mais autant l'impulsion est forte, l'envie de reprendre ce texte et de le "porter" comme on le dit en une si belle formule "au théâtre" est vigoureuse, autant quelque chose qui est de l'ordre du trop d'amour a paralysé et le metteur en scène et l'équipe artistique qui l'entoure. Trop de déférence et pas assez d'insolence, trop d'admiration et pas assez d'humour.

Et le piège est là, dans lequel cette jeunesse tombe, sans même s'en rendre compte : le spectacle chic. Le bon ton. L'élégance. Sans doute le large plateau d'Aubervilliers, cette salle un peu trop longue qui éloigne et donne au moindre pas une allure de cérémonial, y est-il pour quelque chose. Toux ceux qui ont vu le spectacle au Conservatoire, dans la vibrante naissance d'un "essai théâtral", ont été subjugués. Pas de séduction sans raison, au théâtre... Et l'on imagine même fort bien ce qu'il pouvait y avoir d'alacrité et de fragilité dans ce bibelot solide comme tragédie.

Mais ici, l'espace même, la disposition des "personnages" génèrent l'entrave, paradoxalement. Sans doute Vigner aurait-il dû songer à mettre en oeuvre une sorte de "précipité". L'émotion se dissipe aussi dans le mouvement même de la représentation, trop lent, trop étudié, trop sérieux. DURAS est bien trop embarquée dans sa destinée d'écrire pour songer jamais à poser. Il y a toujours en elle un enfant qui dit qu'il n'a pas besoin d'apprendre les choses qu'il ne sait pas. Il faut le croire.