Théothéa · 28 novembre 2006 · PLUIE D'ÉTÉ À HIROSHIMA

Théothéa · 28 novembre 2006 · PLUIE D'ÉTÉ À HIROSHIMA
La fascination de l'indicible
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28 Nov 2006
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28 novembre 2006 · THÉOTHÉA

En effectuant la concaténation de PLUIE D'ÉTÉ avec HIROSHIMA MON AMOUR pourtant éloignés de trente années dans l'oeuvre de MARGUERITE DURAS et en les présentant enchaînés dans l'ordre inverse de leur chronologie, ÉRIC VIGNER trouve un prolongement à l'histoire d'Ernesto seul survivant d'une famille décomposée en flammes mais dont il sera dépositaire de la connaissance immédiate, ne s'embarrassant d'aucun apprentissage scolaire pour comprendre l'Ecclésiaste.

Succédant ainsi à la réplique "Je ne retournerai pas à l'école parce qu'à l'école on m'apprend des choses que je ne sais pas" va donc pouvoir se prolonger la dialectique - "Tu n'as rien vu à Hiroshima. Rien." / "J'ai tout vu.Tout." -

La mise en scène d'ÉRIC VIGNER intrique le spectateur non seulement au centre de la narration mais le rend partie prenante en mettant en place un dispositif scénique où des "vides aménagés" dans le plateau constituent autant de points de fuite pour les comédiens tout en permettant de faire surgir le concept ludique de la parole à tout instant et de toutes parts. Il faut dire que les parents d'Ernesto et ses sisters & brothers auront su l'accompagner dans sa démarche de "surdoué précoce" pour le protéger des matons de la normalité du savoir.

Aussi par la suite l'Amour impossible de Nevers à Hiroshima, consacré par le film d'Alain Renais qu'ÉRIC VIGNER n'a toutefois jamais visionné, pourra rendre compte de la dévastation organisée sciemment par les hommes lorsque ceux-ci sont emportés par la primarité de leurs instincts. Mais cette pulsion de destruction pourra être transgressée par la compréhension sensible d'un monde idéal qu'il serait vain de dénier.

Dans cette Cathédrale des Amandiers que représente la cage de scène totalement dénudée, le public fait corps avec l'écriture de MARGUERITE DURAS à laquelle ÉRIC VIGNER adjoint les perspectives fantasques du metteur en scène et de ses graphistes. Des paravents mobiles de plastique transparent et coloré sont déplacés au fur et à mesure de manière à modeler l'imaginaire au gré d'une relation masculin/féminin qui pourrait sublimer l'Amour dans le conflit de la mémoire avec l'oubli. Une traînée enflammée dans l'obscurité parcourera le plateau durant des instants totalement magiques de façon à glisser peu à peu du vivant à l'éternité, du tangible au symbolique. Une formidable énergie se dégage du jeu des jeunes comédiens qui savent faire passer la dignité de l'âme humaine, de la candeur à la fierté, avec une grâce infinie.

Trois femmes enchantent ce poème vivant travaillé par l'oralité musicale, "Elle" l'amante de Nevers (Jutta Johanna Weiss), la mère (Hélène Babu) et la soeur (Bénédicte Cerutti) d'Ernesto que Nicolas Marchand projette dans l'innocence originelle. Quant aux autres protagonistes masculins ("Lui" Atsuro Watabe; Thierry Godard l'instituteur; Thomas Scimeca le père et Marie Eléonore Pourtois paradoxalement le journaliste), ils font oeuvre de tact en respectant la fascination de l'indicible.