Ouest France · 4 novembre 1994 · REVIENS À TOI (ENCORE)

Ouest France · 4 novembre 1994 · REVIENS À TOI (ENCORE)
Éric Vigner, dialogue avec l'invisible
Presse régionale
Avant-papier
04 Nov 1994
Ouest France
Langue: Français
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Ouest France 

4 novembre 1994 · D.M.

Éric Vigner, dialogue avec l'invisible

Éric Vigner fait partie des artistes approchables. L'oeil vif, prompt à s'amuser et à admirer, rétif au tutoiement, malgré la fréquentation de Racine, le cheveu clairsemé sur un front large qui ne trahit aucun tourment.
 

"L'Image romantique du créateur au-dessus du commun des mortels est terminée, constate le metteur en scène. Il faut expliquer aux gens que le théâtre contemporain, c'est fabriqué comme un morceau de rap ou Pulp fiction,"

Pas de prise de tète : quelque chose à dire sur le monde, les pauvres, la mort, dans le langage d'aujourd'hui. Un langage haché, découpé comme du MC Solaar ou du Tarentino, traversé par des influences qui vont de la culture rock aux mythes celtiques.

"L'aspect celtique est très présent chez Gregory Motton, comme chez moi : tous les Bretons ont dans leur famille une tireuse de cartes ou un magnétiseur." Un interlocteur privilégié de l'invisible.

À l'image de Gregory Motton, dont la pièce Reviens à toi (encore) sera montée à Quimper, Saint-Brieuc, Cherbourg, Caen, puis au théâtre national de l'odén dans le cadre du festival d'automne.

"Gregory Motton est un auteur qui connaît ses classiques mais se laisse aussi Influencer par les récits celtes que sa mère lui contait, la musique country, le cinéma américain et britannique. C'est un auteur de la complexité moderne: on ne se réclame plus d'une idéologie, on sait bien que le Mur de Berlin est tombé."

La présence celte

Gregory Motton, qui pourrait venir voir la pièce à Quimper, est d'ailleurs plus proche du cinéaste Ken Loach que du dramaturge Beckett, à cause d'un petit mot : "Possible", qui clôt Reviens à toi (encore), et laisse briller une étincelle d'espoir.

"Motton, c'est du théâtre humaniste, optimiste, qui revendique tendrement la nécessité de la poésie aux hommes, sans savoir encore quelle forme elle va revêtir. »

Grâce et humour, violence et passion sont ses termes préférés pour parler de son théâtre.

"Jacques Blanc (1) m'a envoyé le texte de la pièce. J'ai eu le coup de foudre sans savoir pourquoi... J'ai toujours monté des pièces que je ne comprenais paS, afin d'éclaircir le sens.

Une énigme à découvrir avec les acteurs, disait le metteur en scène Antoine Vitez.

Pour mettre en scène cette pièce à Quimper, Vigner s'adapte au vieux théâtre, s'en sert comme décor. Un lieu qu'il défend farouchement, "parce que monter une pièce, c'est entrer dans l'histoire du lieu où l'on Joue, c'est rencontrer les gens, et savoir qu'ils viendront voir ta pièce parce qu'ils t'ont vu. L'autre Jour à Albi, il y avait des minettes de quinze ans qui parlaient entre elles : "tu as pleuré, toi ? oui, j'al pleuré, c'était trop beau."; je crois qu'il est plus facile de parler à ces jeunes qu'à un public trop marqué par une image poussiéreuse du théâtre."

L'introduction d'une cornemuse irlandaise dans la pièce attirera sans doute des critiques à Éric Vigner, tant il est vrai que la vague de la world music n'a pas éteint le racisme anti-Breton qui sévit de Rennes à Paris. ce n'est pas le moindre mérite d'Éric Vigner que de montrer, à travers le soliste Patrick Molard, le visage celtique de Gregory Motton.