Ouest France · 19 novembre 1993 · LA PLUIE D'ÉTÉ

Ouest France · 19 novembre 1993 · LA PLUIE D'ÉTÉ
Voyage au bout de la métaphysique dans une mise en scène intelligente.
Presse régionale
Critique
Xavier Alexandre
19 Nov 1993
Ouest France
Langue: Français
Tous droits réservés

Ouest France

19 novembre 1993 · Xavier ALEXANDRE.

La pluie d'été au théâtre de Caen

Un récit de Duras entre vanité du savoir et vérité de l'innocence

Mi-lecture, mi-théâtre, La pluie d'été révèle un texte magnétisant de Marguerite Duras. Sous couvert de l'innocence, les mots y développent les rets d'une dialectique sur la vanité du savoir. Voyage au bout de la métaphysique dans une mise en scène intelligente d'ÉRIC VIGNER.. C'est au théâtre de Caen.

C'est un cas Ernesto. Ce fils d'une famille d'immigrés de Vitry, qui grandit plus vite que ses vêtements décide de ne plus aller à l'école " parce qu'on y apprend des choses qu'on ne sait pas ". Apparemment cette réflexion ne veut rien dire. Pourtant, intuitivement elle touche. Tout le texte de La pluie d'été évolue ainsi sur le fil tendu du paradoxe.

Ernesto est un enfant prodige. Il fait penser à Jésus, qui tout jeune interloquait les docteurs du temple, les tenants de la connaissance ; ses parents sont comme
Marie et Joseph, dépassés par les réponses de ce fils étonnant et en même temps si confiants. Mais Ernesto est un Jésus laïc. Il ne promet pas le paradis céleste. Il constate un monde mal foutu, où les savoirs générent leurs propres impasses.

Mais loin d'aboutir à des conclusions suicidaires, Ernesto attire l'attention sur les hasards, tout aussi mystérieux, des sentiments amoureux, sur la solidarité des liens d'une famille. Le récit de Marguerite Duras est lumineux. Il est de la lumière qui éblouit. Elle éclaire et en même temps trouble la vision. Le travail d'Éric Vigner, remarquablement relayé par de jeunes comédiens, reflète cette constante ambiguité qui balance entre raison et coeur, entre vanité du savoir et vérité de l'innocence.

Éric Vigner : "plus loin que Beckett"

Née d'une "succession de hasards", la rencontre avec le texte de Marguerite Duras enthousiasme ÉRIC VIGNER. " Un texte formidable. Il va plus loin que Beckett. "
On avait pu apprécier, en janvier dernier, sa création Le Régiment de Sambre et Meuse. ÉRIC VIGNER, metteur en scène de la nouvelle génération qu'apprécie l'équipe du théâtre de Caen, démontrait avec talent ses conceptions de mise en espace donnant la primauté au texte. La pluie d'été répond aux mêmes exigences.

" Mon travail, explique-t-il, est toujours de détourner la réalité du lieu investi, de pervertir le rapport scène-spectateur. Je ne fonctionne pas sur l'imagerie, l'illusion. Je ne fais pas un théâtre d'Images. Pour moi, le théâtre est le seul lieu où la parole est possible. L'acteur est le messager de l'écrivain. Ce qui m'intéresse c'est ce que dit Vitez : je n'aime pas les auteurs dramatiques, j'aime les poètes. "

Et Marguerite Duras est un poète. Ce qu'elle défend, c'est la connaissance directe, l'intelligence du coeur. D'ailleurs, si j'ai commencé à faire de la mise en scène, c'est parce qu'il y en a marre des discours. "
ÉRIC VIGNER considère La pluie d'été comme un des textes les plus importants de ces dernières décennies. " Il n'y a pas plus abouti actuellement. C'est un livre ouvert. Il n'est ni triste ni désespérant. On a bien besoin d'une parole d'espoir. Cette dame de 80 ans est une femme magnifique. Elle dit qu'on a perdu les Idéologies, mais ce n'est pas grave. "

ÉRIC VIGNER ne voit pas à ce jour quel texte contemporain il pourrait mettre en scène. Seul le jeune dramaturge britannique Gregory Motton aiguise sa curiosité. Il y a toujours son atelier du conservatoire national d'art dramatique. Et puis " là on répète sur le dernier mouvement d'avant-garde russe des années 30. On va le présenter au festival d'automne à Paris au théâtre du Rond-Point, ensuite en mars, à Nantes puis à Moscou. " Moscou qui accueillera aussi La pluie d'été.