République des Pyrenées · 28 février 1997 · BRANCUSI

République des Pyrenées · 28 février 1997 · BRANCUSI
Un coup de maître
Presse régionale
Critique
Jacques Caubet
28 Fév 1997
République des Pyrenées
Langue: Français
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La République des Pyrénées

28 février 1997 · Jacques Caubet

Bec et Oncle (Sam)

Un coup de maître que ce procès très spécial joué hier au Palais de Justice de Pau.

La première Chambre civile d'appel, dont l'architecture évoque l'ancien couvent des Cordeliers, dispose à l'évidence, mieux que tout autre lieu public, du décor d'une authentique Cour de Justice. Raison de plus pour éric Vigner, directeur du Centre dramatique de Lorient, d'en oublier le faste et la solennité. Le grand vitrail, représentant le Christ en croix et les hautes fenêtres, ont été bordés de rideaux de scène en velours rouge. Les projecteurs remplacent gardes et hallebardes.

Et les hauts magistrats du Palais sont venus en spectateurs pour le procès historique "Constantin Brancusi contre états-Unis". Les minutes des débats constituent la trame de la pièce. En 1928, Marcel Duchamp, ami du sculpteur franco-roumain avait, en mobilisant comme témoins critiques, collectionneurs, artistes, historiens et autres observateurs, poursuivi l'administration des Douanes américaines qui avait taxé comme de la banale camelote des œuvres de Brancusi, destinées à une exposition. Parmi ces créations figurait "L'Oiseau d'or", une forme originale, singulière, proche d'une hélice. De cet épisode judiciaire retentissant des balbutiements d'une reconnaissance légale de l'art moderne, le metteur en scène en retient le caractère absurde et drôle. Les acteurs aux cheveux sculptés, maquillés comme des Arlequins vénitiens, en costumes queue de pie gris comme chats la nuit, déambulent pieds nus, sautillant et piaillant, prenant des mimiques d'oiseaux. De bonne guerre.

Le jeu scénique est en perpétuel mouvement. Et la tribune un perchoir où l'on se succède à tour de rôle. L'intrigue s'y prête : président, procureur, avocats et témoins, aux quatre coins du curieux prétoire et dans le public se volent douillettement dans les plumes. On se croirait au creux d'un conclave de pingouins automates claquemurés, transis, disputant âprement le bout de l'art. Des éclairs ponctuent les différentes scènes, tandis qu'en voix off au timbre d'aérogare, le greffier consigne les caquetages. Ce vol, au-dessus d'un nid de coucous, joue moins sur l'émotion que sur le rêve. Bruitages et effets spéciaux drapent comme une musique sérielle plaidoiries et interrogatoires. La création de Vigner finit par incarner à son tour un oiseau de bon augure pour l'art moderne.

Cette superbe initiative de Marc Belit, directeur du Parvis, est un coup de maître. La réussite est telle qu'une autre représentation aura lieu ce soir à 19 heures avant celle de 21 heures.