L'oiseau de Brancusi · L'aile de Marion · Claude Chestier

L'oiseau de Brancusi · L'aile de Marion · Claude Chestier
L'aile et l'oiseau
Propos
Claude Chestier
Aoû 1998
Langue: Français
Tous droits réservés

L’aile de MARION DE LORME et l’Oiseau de BRANCUSI

CLAUDE CHESTIER, scénographe · Août 1998.

Il faut parler de l'oiseau...

Il faut parler de l'oiseau. L' "Oiseau" de Brancusi. L'oiseau du procès de Brancusi Contre Etats-Unis.

Qu'est-ce qu'une oeuvre d'art ? Telle était la question posée dans ce précédent spectacle d'Eric.

Notre compagnonnage dure depuis sept ans.

Le septième spectacle, oui, c'est cela MARION DE LORME, c'est le septième spectacle.

Il faut dire que dans le dispositif scénique de BRANCUSI CONTRE ÉTATS-UNIS, il y avait une caisse.
Une caisse carrée en bois.
Elle siégeait au centre du plateau au début du spectacle.
Contenait-elle l'oeuvre discriminée par la douane américaine ?
La caisse s'ouvrait en deux, selon une diagonale brisée en forme de marches d'escalier.
Ouverte : cette caisse générait deux escaliers géants qui s'écartaient et devenaient, l'un, le siège du procureur, l'autre, le siège de l'avocat.
À l’instant de l'ouverture, les deux escaliers dessinaient, comme en manque, les contours de deux ailes.
Deux ailes s'ouvrant dans l'air.
Juste la silhouette, à cet instant, de cet espace d'air entre deux ailes qui s'ouvrent.
L'idée de l'oeuvre incluse dans la caisse s'envolait-elle ?

Aujourd'hui j'entrevois, avec Eric et avec Pascale, Joseph, Franck : nos compagnons de route, que la caisse de Brancusi contenait l'aile de MARION DE LORME.
La tentative d'élévation, la tentative de manifeste pour ouvrir le monde à d'autres formes, ces tentatives, qu'elles soient de 1926 ou de 1829, toutes ont le même mouvement : ascendant.
Depuis sept spectacles, grâce à la complicité plasticienne d'Eric, s'est ouvert le monde de la scène. Chaque projet s'augmente des précédents et chaque projet, loin de quêter les représentations que les didascalies d'un texte impose, chaque projet tente cette autonomie de l'espace.
Comme un jeu indépendant. Et ce jeu réserve parfois, lorsque nous réussissons, des rencontres avec le jeu des acteurs. Et ces rencontres sont de vrais gestes poétiques puisqu'elles n'ont pas été cherchées. Des choses données.

Il faut parler de la MAISON D'OS sous l'Arche de la Défense ; du champ de pommes de terre de La PLUIE D'ÉTÉ ; des briques et de la boue de REVIENS À TOI (ENCORE) ; de la plaque rouillée de BAJAZET; des reflets dans les vitres de L'ILLUSION COMIQUE.
Il faut parler de l'oiseau de BRANCUSI CONTRE ÉTATS-UNIS.
Il faut parler de HUGO le visionnaire. L'aile de l'oiseau de BRANCUSI est déjà dans la tête de HUGO, certainement. L'aile de l'oiseau est sur le plateau de MARION DE LORME. Grotesque et sublime, elle griffe de ses mouvements l'ombre et la lumière.

Le projet de HUGO est trop vaste pour un plateau de théâtre. Eric et moi pensions que l'espace décrit par HUGO était une prévision de ce que saura rendre, plus tard, le cinéma. On voyait déjà Abel Gance.
L'aile s'impatiente dans sa "cage" de scène.

Une pensée trop globalisante pour les codes de représentation de l'époque. Pour ce qui est de l'image, revenons donc à l'humilité du théâtre, revenons au 9 juillet 1829, au 11 rue Notre-Dame-des champs, chez HUGO.

C'est la lecture. VICTOR HUGO et sa femme sont là, DELACROIX, SAINTE-BEUVE, BALZAC, MUSSET, VIGNY, DUMAS, MÉRIMÉE sont là.

Cet acte impossible à réaliser, ils vont tenter de le faire avec leurs humbles moyens, dans leurs habits de laine fade, mode d'une monarchie bourgeoise.

L'aile est déjà là, chez HUGO, prête à l'envol.
Les arcanes du pouvoir de l'époque sont denses et leur réseau ne laisse pas le moindre pertuis pour que l'oeuvre se déploie.

HUGO, scénographe attentif avait-il préparé une maquette ? Soit : nous sommes dans sa maquette.
L'avait-il réalisée avec des planchettes de bois trouvées dans la remise du 11, rue Notre-dame-des-champs ?

Aujourd'hui ce serait du contre-plaqué. Et c'est du contre-plaqué.

Pour rendre l'espace à sa vastitude, le plancher à bâtons rompus devient hors d'échelle : on y voit valser les souris. Table, guéridon et sièges sont aussi disproportionnés.
Tout est trop grand pour ces acteurs trop petits.
Un morceau de plancher arraché au 11, rue Notre-dame-des-champs flottant dans nos espaces contemporains comme un radeau célèbre à l'époque flotte encore dans nos musées.

Il leur faut inventer un XVllème siècle.
Les pourpoints XVllème sont des haut de redingote XlXème.
Va-t-on ici en couper les jupes pour là dessiner des basques ?

Comment va-t-on inventer un costume pour Chimène ?

Bien sûr tout cela est pensé par HUGO. La belle affaire, la pensée. Mais c'est quoi les choses, vraiment, avec ou sans la pensée ?

Ah oui ! Tout cela est écrit par HUGO. Ah oui ! tout cela est dessiné par HUGO.

Nous n'oublierons pas la fadeur de son papier ; l'incisif do son trait de plume; la noirceur de son encre ; les sépias de ses lavis ; une touche bleue, parfois, comme un morceau de ciel, quand même.

Nous ne nous écarterons pas de ses "valeurs".