Entretien entre Ginette Noiseux et Maria de Medeiros · SEXTETT

Entretien entre Ginette Noiseux et Maria de Medeiros · SEXTETT
Entretien Maria De Medeiros
Note d’intention & entretien
2008
Espace Go - Montréal
Langue: Français
Tous droits réservés

SEXTETT

Entretien avec MARIA DE MEDEIROS / JANE

« Ai-je l'air d'une femme à qui l'on dit non? » Jane

Ginette Noiseux :
La première fois que tu as lu le texte, qu'est-ce qui t'a le plus étonnée?

Maria de Medeiros :
Mon premier étonnement vient d'abord de l'originalité du processus. Parce qu'en général, quand on accepte de faire une pièce de théâtre, c'est une pièce qui a été écrite il y a des centaines d'années ou au moins depuis un an ou deux. Là, on était déjà réunis, on avait des dates fixées dans notre calendrier, on avait fixé des accords et on n'avait pas lu le texte encore!
On est partis sur la base de la confiance, car je connais ÉRIC depuis très longtemps. C'est mon plus vieil ami en France, dans le domaine théâtral. J'y suis arrivée à dix-huit ans et mon copain de classe, dans le premier cours où je me suis retrouvée, c'était Éric. Après, on est passés au Conservatoire ensemble et on a fait beaucoup de choses dont ELVIRE JOUVET 40, qui a été une expérience très forte. Par la suite, on est toujours restés en contact ÉRIC et moi. J'ai toujours suivi son travail. Je connaissais aussi RÉMI DE VOS grâce à lui. L'aventure est partie sur cette base de confiance, voilà pourquoi j'ai accepté sans savoir ce qu'allait être le texte.
Quand j'ai reçu SEXTETT, je n'ai pas eu d'opinion très formée tout de suite, car je crois que c'est une pièce qui gagne à être fréquentée.
En fait, je trouve que c'est un texte très honnête de la part de RÉMI parce qu'il a vraiment laissé aller son inconscient. En plus, il a travaillé, ça se sent dans le texte, sur les gens pour qui le projet était dessiné, c'est-à-dire pour le groupe d'actrices, pour l'acteur et pour le metteur en scène — parce que je pense qu'il y a beaucoup d'ÉRIC aussi dans cette pièce. En ce qui me concerne, pour le personnage de Jane, il apparait évident qu'il a travaillé sur un matériau biographique. J'ai grandi en Autriche, à Vienne. Il y a beaucoup de références à la musique classique et j'ai grandi dans le milieu de la musique classique parce que mon père était compositeur classique et donc, toutes les références à Schubert, les textes en allemand, les textes en portugais, les références à la bossa-nova que j'adore (je travaille beaucoup sur la musique brésilienne en tant que chanteuse), le fado... Il a réuni des choses qui ont directement à voir avec ma biographie. D'ailleurs, ce sera difficile à l'avenir de trouver une actrice qui réponde à tous ces critères! (Rires)

G.N. :
Dans mes échanges avec les comédiennes de la troupe, certaines ont souligné que SEXTETT mettait en scène la peur des femmes.

M.d.M. :
Il est assez rare de voir sur scène des personnages féminins exprimer leur désir. Mais en même temps, la façon dont ces personnages le font est sortie d'une imagination très masculine, complètement. Elle n'a aucune réalité féminine dans sa façon de s'exprimer, elle correspond vraiment à un fantasme masculin. C'est un texte qui a été écrit avec beaucoup de contraintes pour RÉMI : qu'elle traite des femmes, qu'il y ait de la musique pour la saison théâtrale du Rond-Point, qu'elle soit écrite pour ce groupe d'actrices et cet acteur...
Une des contraintes était d'écrire sur le désir, puisque c'était le thème de la saison de Lorient, mais je crois que c'est une pièce sur le refoulement, plus que sur le désir. On voit un personnage qui est incroyablement refoulé et qui a des désirs refoulés. Je pense que l'homosexualité est un maître mot aussi de cette pièce. C'est peut-être une des clés de lecture par rapport à la terreur que les personnages féminins inspirent au personnage de Simon. Il s'agit d'un beau texte sur le refoulement aussi.
C'est honnête aussi dans l'acceptation de sa misogynie. À mon sens, ce n'est pas une pièce féministe, contrairement à ce à quoi on s'attendait. C'est une pièce qui tient compte de la misogynie, qui existe de fait, dans la société française et qui gagne du terrain chez les gens jeunes. C'est-à-dire que, dans la génération de mes parents, les hommes avaient comme une culpabilité par rapport à leur misogynie. Alors que les gens plus jeunes ont retrouvé des réflexes très misogynes sans culpabilité ! Et je pense que le texte est honnête aussi par rapport à ça, qui est abordé de manière assez surprenante.
Je m'attendais à lire un texte sur les femmes dans lequel celles-ci ont beaucoup d'importance et, à la lecture du texte, j'ai découvert un personnage masculin complètement central entouré par cinq femmes qui lui réclament à corps et à cris « Baise-moi, baise-moi! ». En même temps, je pense que RÉMI , dans son texte, dit « Voilà le maximum de féminisme auquel la société française arrive en ce moment. »

G.N. :
Je suis assez d'accord avec toi. (Grand éclat de rires) Et toi donc, comme actrice, comme femme de scène et artiste engagée, tu t'es sentie comment d'être au service de cette parole-là? Est-ce que ça t'a posé problème?

M.d.M. :
Comme je le disais, je trouve qu'il y a une honnêteté fondamentale dans le texte de RÉMI et à partir d'une telle qualité, il devient toujours possible de travailler et de créer. Parce que c'est un texte qui admet les limites, les refoulements, la peur, c'est un texte qui admet tous ces complexes qui font partie du machisme. La pièce traite bien plus du machisme que du féminisme. Et comme c'est un texte qui l'admet de façon honnête, on peut tout à fait relever le défi et le prendre comme une critique d'un tel machisme.

G.N. :
Comment as-tu investi le personnage de Jane?

M.d.M. :
J'ai essayé de travailler avec les mots, avec l'humour, parce qu'il y a beaucoup d'humour dans l'écriture de RÉMI . Il ne me connaît pas bien du tout, il ne m'a croisée que deux ou trois fois. Il s'est renseigné auprès d'ÉRIC qui lui a dit : « Bon bien, Maria, elle est comme ça, elle a vécu ci, elle a vécu ça, bla-bla » et son imagination a forgé ce personnage qui est très beau et qui me touche parce que je sens bien qu'il a travaillé comme ça de bric et de broc avec des informations qu'il avait eues sur moi. Ça m'amuse beaucoup de jouer un personnage qui lui-même joue avec ma biographie.

G.N. :
Jane est un personnage tout à fait truculent. Quand elle entre sur scène, on est ravi parce qu'on n'a aucune idée de ce qu'elle nous prépare, de ce qu'elle va faire. Puis, il y a une élégance, une vivacité dans ce personnage qui font qu'on y est très attachés, qu'on a très hâte de la revoir.
Et cette rencontre avec Marie-France et Anne-Marie, comment se vit-elle? Tu es déjà venue à Montréal, donc tu connais, tu as des amies comédiennes ici.

M.d.M. :
J'adore Montréal. J'ai effectivement la chance d'avoir travaillé sur quelques projets ici. J'ai un bon rapport avec Montréal, mais je ne connaissais ni Anne-Marie, ni Marie-France de manière personnelle et ça a été un bonheur... mais un vrai bonheur! J'étais vraiment très heureuse qu'elles soient dans cette aventure. Parce que ce sont des comédiennes puissantes et, justement, elles avaient un regard neuf, elles avaient la distance nécessaire pour rigoler de tout, pour prendre le texte justement avec la distance qu'il fallait, avec le regard critique qu'il fallait. C'est vraiment le pied de travailler avec elles!

Extrait du dossier public · Espace Go, Montréal

Propos recueillis par Johannie Deschambault