Ouest France · 5 octobre 2011 · LA PLACE ROYALE

Ouest France · 5 octobre 2011 · LA PLACE ROYALE
Cet art du contraste est une preuve de talent.
Presse régionale
Critique
Gildas Jaffré
05 Oct 2011
Ouest France
Langue: Français
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Ouest France

5 octobre 2011 · Gildas Jaffré

Bas les masques sur La Place Royale !

Une mise en scène audacieuse et épurée de la pièce de Corneille. Difficile de ne pas se laisser prendre au jeu !

Belle idée d'avoir osé des voix aux timbres étrangers pour un grand texte français. C'est l'acte de naissance, un an jour pour jour, de l'Académie fondée par Éric Vigner qui a fait son entrée en scène lundi soir au CDDB, le centre dramatique de Bretagne. Sur un registre qui ne tient aucunement de la facilité. Le directeur du théâtre signe la mise en scène pour son auteur fétiche, le redoutable Pierre Corneille, auquel il voue une admiration sans borne pour être le père du théâtre classique. Vigner redit, à ceux qui ne l'auraient pas encore compris, qu'il sait aussi se glisser dans le répertoire le plus fameux de la langue française. En alexandrins, de surcroît.

Un tourbillon des sentiments

Réunir sept jeunes comédiens d'horizons différents, avoir dans les mots des tons qui leur donnent des couleurs, correspond bien à ce monde du XVIIe siècle en pleine mutation, où le baroque s'impose alors que Paris se métamorphose pour coïncider avec son époque, est un parti pris réussi. Davantage d'ailleurs par les deux jeunes actrices, pétillantes, convaincantes, que les camarades qui manient certes l'épée mais doivent encore gagner en corps. Mais l'ensemble est un agréable tourbillon des sentiments autour d'Alidor et Angélique et la rhétorique autour de la maîtrise de soi, entre la liberté individuelle et le don de sa vie à une femme. Avec des fulgurances bâties en douze pieds, que les lycéens majoritaires dans la salle ont parfois subis mais finalement supportés, car parfois susurrés comme des confidences sur un ton très actuels à l'avant-scène. Cet art du contraste est une preuve de talent.

Un bal somptueux

Entre le genre, pourtant si codé par la rime, et l'atmosphère dégagée, le rôle du décor n'a rien d'insignifiant, esquisse de pierres et de vitres qui profilent une ville nouvelle, éléments déplacés entre lesquels se glissent les comédiens. Jusqu'au bal, somptueux, étiré pour évoquer une société de plaisirs et d'intrigues, dont Corneille se repaît pour mieux asséner quelques vérités humaines, prônant la raison. Les masques dissimulent les traits, les mots révèlent les intentions. Mais finalement, ils tombent : l'amant qui ne veut pas s'engager sera éconduit, sa belle ira se cloîtrer. Ce que ne fera pas cette académie promise à des travaux d'un tout autre style, sur Guantanamo de Frank Smith et La faculté de Christophe Honoré. Des dizaines de dates s'annoncent pour ces jeunes comédiens qui ont éclos au théâtre de Lorient, où Éric Vigner entend bien n'oublier aucune facette de son art.