L'Herault du jour · 26 mars 2004 · ANTIGONA

L'Herault du jour · 26 mars 2004 · ANTIGONA
Recherche jumeau désespérément
Presse régionale
Critique
Jean-Christophe Care
26 Mar 2004
L'Herault du jour
Langue: Français
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L'Herault du jour

26 mars 2004 · Jean-Christophe CARE

Recherche jumeau désespérément

Le mythe d'Antigone à la sauce Napolitaine s'accommode de la vision en noir et blanc d'Éric Vigner bouleversante incarnation de MARIA BAYO.

Le compositeur Tommaso Traetta (1727-1779) parachève son périple artistique qui le conduit de Naples à St Pétersbourg via Paris. Celle que l'on surnommait la " Semiramis du Nord " : Catherine II lui passe commande en 1772 d'un opéra qui détienne le mérite d'être court.

Ce sera Antigona sur un livret resseré d'après la tragédie éponyme de Sophocle. L'oeuvre recelait la grandiose majesté du desposte éclairé avec ce sens de l'effroi qu'il suscite à l'aune de la clémence qu'il peut dispenser.
Heureux dénouement oblige, la partition brosse le Portrait d'une héroïne sans concession dont l'intransigeance épouse la cause bannis de ce monde.

L'impossible deuil

La mise en scène d'Éric Vigner démultiplie les lignes de fuite au sein d'une succession de rideaux en trompe.
Les compositions graphiques en noir et blanc se télescopent comme autant de combinaisons aléatoires d'un cycle perturbé sous la forme d'un puzzle énigmatique. Cette stylisation de l'espace rend indéniablement hommage à la Machine infernale de Cocteau qui contribua à retremper la dynastie des Atrides dans un cadre lisible à différents niveaux. Ainsi, du proscenium laqué de noir, Antigone paraît surgir des limbes pour revivre la joute fratricide de ces frères jumeaux Eteocle et Polynice. Cette pantomine instille d'emblée la terreur lancinante qui va présider aux conflits entre les membres dissociés de la cour de Thèbes.

Dès lors, Antigone va franchir les étapes du deuil avec une véhémence insensée qui lui interdiront toute forme de résignation.
La cantatrice espagnole MARIA BAYO convoque l'esprit des ancêtres dignes de vénération afin de dialoguer avec l'âme du frère jumeau interdit de sépulture.
Le timbre de miel s'épanouit et nous captive lorsque l'identification avec Polynice frise le délire.Dans cette scène ombrée de douleur, la femme passe du côté des revenants et accède au mythe. MARIA BAYO inocule le frisson du sacré qui s'empare d'Antigone au seuil du royaume des ombres.
Nimbée d'une fureur implacable, la soeur meurtrie ne peut s'apaiser auprès de sa timide soeur Ismène.
Quant à Ermone, son époux transi, il ne dupe que lui-même sur l'issue ténébreuse de cette affaire de famille.

Laura Polverelli, mezzo soprano au médium cuivré, apporte la touche d'humanité poignante dans ses échanges complices plus habités par la pitié que la réelle compassion. D'ailleurs, la grâce ultime prononcée par l'usurpateur Créon incite Thèbes à se détourner à jamais d'Antigone.

Un univers réversible

On assiste en fait à un défilé où les tenues alternent le blanc et le noir sans que les jumeaux ne soient dépareillés.
Ainsi, la garde prétorienne de Créon maintient l'équilibre entre les ténèbres et la blancheur immaculée.
Le leurre permanent scinde la scène en deux cérémonies antagonistes : la parade officielle et la crémation des restes de polynice. Du coup, les choeurs semblent hésiter entre la résignation slave et le dolorisme napolitain. Chaque acte ou pensée contient son revers transgressif dans ce " théâtre de la cruauté " qui prendra toute sa noirceur dans les oeuvres d'Honegger et d'Orff au XXe siècle.

Néanmoins, les audaces musicales de Traetta rendent justice à ce mythe rarement abordé par le monde lyrique. Christophe RousseT traite les instruments comme des voix qui se font l'echo des interventions solistes.
Son ensemble, les Talens Lyriques, ouvrent des fenêtres sur Gluck cédant la place au Mozart d'Idoménée.

Certains purent s'agacer d'une mise en scène qui misait sur le manichéisme " branché " et n'offrait pas à la belle Bayo une robe rouge sang pour clôturer sa prestation.

Toutefois, si l'exercice parfois tournait à vide, on ne saura que se féliciter de l'implication du moindre figurant. Le public y fut sensible et plébiscita le spectacle et la banderole brandie de la fosse où l'on pouvait lire " 51 intermittents en sursis " Il s'agissait en l'occurrence de choristes supplémentaires et de membres de l'orchestre...