Libération · 26 septembre 2006 · LE BOURGEOIS GENTILHOMME

Libération · 26 septembre 2006 · LE BOURGEOIS GENTILHOMME
La mise en scène mêle l'épure à la sophistication, le burlesque au silence.
Presse nationale
Critique
B.M.
26 Sep 2006
Libération
Langue: Français
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Libération

BM · 26 septembre 2006

ÉRIC VIGNER monte la pièce de MOLIÈRE en coréen.

LE BOURGEOIS GENTILHOMME  mis en scène par ÉRIC VIGNER avec les musiciens, chanteurs et danseurs du Théâtre national de Corée du Sud, relève de l'expérience surnaturelle. Monsieur Jourdain en ample kimono tombe au sol, comme sonné. De hauts battants de laques orientales glissent sur la scène, où trône un paon dessiné. Au-dessus, les mots de MOLIÈRE défilent en français et en anglais. Les comédiens parlent coréen. Ce Bourgeois est un instant grisant.

Esotérique.

Dans la note qui accompagne le spectacle, Éric Vigner, explorateur d'un nouveau monde ésotérique, raconte son arrivée en Corée, le choc métaphysique qu'il en ressentit, et le désir qui ne l'a plus quitté de découvrir les musique, danse et chant d'une "culture très ancienne et vive".

Le choix du Bourgeois gentilhomme est né de cette confrontation: la pièce de MOLIÈRE ne raconte-t-elle pas la conversion d'un homme à l'art? C'est également une pièce sur l'altérité et l'exotisme, sur là langue au théâtre. La leçon d'orthographe que le maître de philosophie édicte à Jourdain est en cela inédite: Lee Sang-jik, bourgeois d'exception, entreprend de prononcer chaque voyelle à l'excès. La scène n'est plus seulement une farce sur l'érudition facile, mais un jeu de miroirs entre époques et continents. Plus loin, la rencontre avec le fils du grand Turc est un billard à trois bandes. Le français n'y occupe plus qu'une place mineure, entre coréen et baragouin oriental. ÉRIC VIGNER n'établit pas de hiérarchie entre les civilisations. Il les met côte à côte. Elles se renvoient leurs étrangetés et leurs points communs.

Transe profane.

Sa mise en scène mêle l'épure à la sophistication, le burlesque au silence: avec ses ballets de sabres, menés tambours battants, et ses révérences ventre à terre, le Bourgeois apparaît comme rasséréné. Il suffit d'assister à l'intronisation jouissive de Jourdain en Mamamouchi, un bonnet sur le crâne, assis au milieu d'éventails flottants, le corps pris d'ondulations comme au milieu d'une transe profane, pour saisir la délectation avec laquelle Vigner s'est amusé à mêler les répertoires. Un jeu sur les cultures (la nôtre, la leur et celle du XVIIe siècle), où le décadrage opéré par la langue, par les comédiens et par la musique de Lully (jouée aux instruments coréens traditionnels) évite la caricature. La pièce en ressort dépoussiérée. Renforcée, même, dans ses tropismes: la fatuité d'un homme en mal de reconnaissance, quelles que soient ses origine.