Le Figaro · 11 juin 1994 · LE JEUNE HOMME

Le Figaro · 11 juin 1994 · LE JEUNE HOMME
Drame, poésie ou mystère. On est sous le charme de JEAN AUDUREAU.
Presse nationale
Critique
Frédéric Ferney
11 Juin 1994
Le Figaro
Langue: Français
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Le Figaro

11 juin 1994 · FRÉDÉRIC FERNEY

Le jeune homme de Jean Audureau : Un contemporain capital

Né en 1932, intouché par la mode, donc méconnu de l'histoire littéraire, Jean Audureau est un auteur salutaire, troublant, énigmatique. Dans son théâtre, tout s'émeut, tout conspire : la parole, l'espace, le temps, le personnage. Est-il symboliste, surréaliste, ésotérique, baroque, claudélien ? En général, on invoque à son sujet Artaud et Godard : c'est dire combien on est perdu ! On ne peut que féliciter Brigitte Jaques et FranÇois Regnault de nous proposer un petit festival Audureau à Aubervilliers.

Chez Audureau, on trouve une écriture qui fermente, une dramaturgie qui ne livre ses saveurs et ses paliers d'arôme qu'à retardement, une voix brutale et vierge, ivre d'impalpables frayeurs. Chaque pièce semble un conte, obscur comme un oracle, une cérémonie secrète, un rite oublié. Dans la conversation, il appelle l'amour divine douleur et invoque « le jour où les océans seront des tigres insatiables ”. Vous voyez le genre ?

Dans LE JEUNE HOMME, il y a des didascalies insensées qui sont des appels, des écueils songeurs, des provocations aux comédiens. Exemple: « Lorsque les jeunes filles respirant librement se déplaceront, elles ressembleront soudain à ces magnifiques poissons que nous contemplons (guettant leur mouvement imprévisible) dans les aquariums. » Ou encore: « pour bien fixer ce décor, il suffit d'observer longuement la montée du soleil après les pluies torrentielles. » À la bonne vôtre!

Fermement dirigés par ÉRIC VIGNER, les acteurs lisent à livre ouvert. Ils miment une répétition : ils trébuchent ou plutôt ils montrent qu'ils trébuchent. Parfois, ils font exprès d'hésiter, de marmonner. Ils n'ont répété que quelques jours et pourtant, dans un décor simplifié (chaises, tables et chapiteau de papier), on entrevoit des moments de pur théâtre.

Ce n'est qu'un pressentiment de la pièce et pourtant, par endroits, on est ébloui par de lumineuses parcelles. Drame, poésie ou mystère. Quelque chose advient, se révèle, s'accomplit. On est sous le charme de JEAN AUDUREAU.