Vigner, vivre avec grâce · Jean-Pierre Miquel · REVIENS À TOI (ENCORE)

Vigner, vivre avec grâce · Jean-Pierre Miquel · REVIENS À TOI (ENCORE)
Jean-Pierre Miquel à propos d'Éric Vigner
Commentaire & étude
Jean-Pierre Miquel
1994
Langue: Français
Tous droits réservés

Un jeune créateur épris de poésie et d'étrangeté

Eric VIGNER promène une apparente nonchalance, l'oeil vif et le sourire ironique. Il semble s'amuser des choses de la vie, des êtres et des situations, sans se prendre trop au sérieux. Bref, il est plutôt sympathique...

J'ai rencontré Éric au Conservatoire, où il est arrivé comme élève en 1984, venant du Centre de la rue Blanche (ENSATT), ayant déjà reçu une solide formation, et pratiquant aussi la scénographie, le décor et les costumes. Il joua tout de suite dans l'Elvire-Jouvet 40, mis en scène par son ancien professeur, Brigitte Jaques, et dut même prendre un an de congé pour en assurer la tournée. Puis il proposa un projet de spectacle d'élèves, avec la Place royale, Corneille, qui vit le jour en 1986. C'était, je pense, sa première mise en scène. Il y montrait déjà son goût pour les espaces inusités, transformant l'agencement habituel d'un lieu, créant l'étrangeté. Il sortit du Conservatoire en 1988, en jouant avec moi le rôle de Lucidor dans l'Epreuve, de Marivaux, au Festival d'Avignon, à Vienne, Budapest et Paris. Bien que "faisant l'acteur" régulièrement, il était manifeste qu'Éric se dirigeait vers un parcours de metteur en scène. Ce fut le succès de la Maison d'os, de Dubillard, dans une usine désaffectée d'Issy-les-Moulineaux, puis le Régiment de Sambre et Meuse, à Brest et Aubervilliers, et des travaux auprès de maîtres étrangers.

Une démarche libre

Quelques semaines avant mon départ du Conservatoire, je proposais à ÉRIC de venir diriger un "atelier-spectacle" avec des élèves de troisième année qu'il ne connaissait pas. Il choisit de travailler sur un roman de Marguerite Duras, la Pluie d'été. Cet atelier fut le succès que l'on sait, repris en divers lieux et dans une grande tournée en France et à l'étranger. La Compagnie Suzanne M. existait bien. Maintenant, il monte Audureau, Gregory Motton, DanIIl Harms, et bientôt le Bajazet de Racine pour les Comédiens-Français, avec qui je l'ai invité à venir oeuvrer au Vieux Colombier. Il aime les contemporains sans négliger les classiques. Il est curieux.

La démarche de Vigner se veut libre, "loin des tours et détours idéologiques, et loin du triomphe du faux-semblant lié à l'exercice d'un théâtre englué dans le consensus mou". Il a un discours moral sur sa pratique, et un regard éminemment poétique sur la représentation des textes qu'il choisit. D'où sa recherche de lieux qui provoquent un autre rapport acteur- spectateur et produisent un espace intermédiaire entre le réel et l'imaginaire. Là se situe la recherche essentielle.

Comédien, plasticien, metteur en scène et maintenant directeur, Eric Vigner est un homme de théâtre complet qui, à trente-trois ans, entame avec le sourire un parcours rigoureux et responsable, fondé sur le trépied texte-acteur-espace ; sans romantisme, mais avec une poésie personnelle singulière, comme une aventure qui permet tout simplement de vivre avec grâce.