Esprit en liberté · Michel Dréan

Esprit en liberté · Michel Dréan
Entretien avec Michel Dréan
Note d’intention & entretien
David Sanson, Michel Dréan
2011
Magazine N°1 du Théâtre de Lorient
Langue: Français
Tous droits réservés

Esprit en liberté

Propos recueillis par David Sanson

Sa silhouette est peut-être familière aux cinéphiles et amateurs de théâtre lorientais ; à tous ceux, aussi, qui ont un jour poussé les portes de la prison de Ploemeur. Pour la plupart, Michel Dréan reste toutefois un inconnu. Mais le magazine que vous lisez, tout comme le Théâtre de Lorient, n’a finalement d’autre but que celui-là : s’ouvrir à l’inconnu. Surtout lorsqu’il est, à l’image de Michel Dréan, aussi débordant d’humanité.

Qui est Michel Dréan ? Un "prêtre diocésain, du petit pays de Vannes", qui, après une vie riche en rebondissements, guidée par une constante "passion du savoir et de la connaissance" et une indestructible foi en l’humain, s’est retrouvé, un beau jour de l’an 2000, aumônier à la prison de Ploemeur, tout à côté de Lorient : à la fois une maison d’arrêt regroupant 250 personnes en détention préventive ou de courte durée, et un "CD " (centre de détention) d’environ 40 places – "des gens qui peuvent être là pour 3, 4 ou 5 ans, ou alors en fin de peine, pour se reconstruire ou se rapprocher de leur famille… " Entre ces murs, il a trouvé matière à exercer ce don rare qu’il n’a cessé de cultiver : l’attention à l’autre.
Mais Michel Dréan  est aussi un puits de culture, vouant un culte fervent au cinéma, au théâtre, à la musique. Lorsqu’il vous parle, il ne cesse de se référer aux innombrables pièces et films qu’il a vus. Jusque dans ces homélies : "Dimanche dernier, c’était Truffaut, La Nuit américaine, avec cette scène où un enfant tombe du troisième étage et retombe sur ses pieds. Cela m’inspirait des réflexions sur la confiance, sur le fait que la vie est souvent plus forte que les erreurs que d’autres – notamment les parents – pensent avoir pu faire à notre propos..." Nulle pédanterie derrière cela. Simplement, la marque de cette foi en l’art propre aux tenants d’une "éducation populaire" qui ne cesse de faire des merveilles. À tous ceux qui considèrent l’art non comme une stratégie de distinction, mais comme un instrument d’épanouissement – pour ne pas dire de libération.

Comment devient-on aumônier à la centrale de Ploemeur ?

Michel Dréan : « Rien ne me prédisposait à cela… Après mon ordination, j’ai d’abord été prof pendant un moment, je m’occupais aussi du ciné-club. Prof de français-latin-grec, ça fait un peu vieux jeu (sourire)… Et un jour, on est venu me trouver : “Tu ne t’es tout de même pas fait prêtre pour rester prof toute ta vie ! Viens à l’aumônerie du lycée, on a besoin de toi : on sait ton amour du cinéma, ton goût de la vie réelle, tu y seras beaucoup plus dans ton élément…” Et c’est ce que j’ai fait, je suis devenu aumônier de lycée pendant une dizaine d’années, à Coëtquidan, puis Vannes. Cela m’a appris un peu à être dans un lieu qui n’est pas le mien, un lieu où je suis l’invité, où je n’ai pas à faire la loi, où je me soumets au règlement... Cela m’a habitué aussi à des publics non cléricaux, à une situation en territoire laïc. Et cela m’a plu. C’était juste avant 68, et l’école avait besoin d’ouverture : les élèves voyait dans l’aumônerie un lieu d’échange, d’ouverture, de libération, qui n’avait guère d’équivalent ailleurs. Je me sentais fait pour ça : libérer les gens, les jeunes, comme, maintenant, j’essaie de libérer – dans leurs têtes – les prisonniers. Je pense que c’est notre meilleur rôle, non seulement de prêtres, mais aussi de citoyens : on devrait être des libérateurs, des ouvreurs de perspectives, des élargisseurs de champs. J’ai toujours conçu mon rôle d’aumônier en prise directe avec la société. »

Après Vannes, vous atterrissez directement à Ploemeur ?

« Non, on m’a d’abord envoyé faire un “recyclage”. J’avais un peu rué dans les brancards, et la hiérarchie avait estimé qu’il serait profitable de m’envoyer suivre une maîtrise de théologie à Paris. Mon Mai 68, je l’ai ainsi vécu dans les années 1980 à Paris ! J’y ai découvert l’art et la culture. Je me suis mis à aller au concert – que ce soit Téléphone, Miles Davis ou un opéra –, aux ballets de Noureev… et à Avignon. J’y suis allé pour la première fois il y a 24 ans, et depuis, j’y suis retourné tous les ans. Le Festival d’Avignon, c’est un peu ma deuxième naissance…
Ensuite, j’ai fait un peu de paroisse, à Muzillac, et puis on m’a proposé le poste d’aumonier à Ploemeur. J’ai mis du temps à dire oui, principalement parce qu’étant quand même un peu du Sud – par ma naissance au Maroc, mon style –,j’avais peur, en prison, d’être trop émotif, ou trop direct. Mais j’ai franchi le pas, voilà dix ans, en 2000. »

Quel est l’emploi du temps d’un aumônier de prison, en quoi consiste votre rôle ?

« Il y a un petit groupe de gens – d’origines très diverses – qui viennent prier le dimanche. Mais dans la semaine, ce sont des visites au hasard. Le privilège des aumôniers est d’avoir non pas les clés de circulation, mais les clés de cellule. Les détenus me laissent un mot dans mon casier ou m’arrêtent dans les couloirs. Je frappe toujours (je suis le seul) avant de rentrer chez les gens, et parfois ils m’invitent à m’asseoir et à boire un café. J’aime être chez les autres, être invité chez eux… Nous parlons de tout, mais rarement de l’acte qui les a conduits en prison. Ce qu’ils ont fait, ce n’est pas ce qu’ils sont. Je pense qu’ils sont meilleurs que le pire de leurs actes. Ils ont fait quelque chose – mais ils s’en séparent, et se recontruisent… Et j’essaie de me mettre à leur place : si j’avais été dans leur situation, où en serais-je aujourd’hui ? De quel droit puis-je juger quelqu’un qui flanche ? »

À ce propos : à la centrale de Ploemeur s’est nouée une idylle fameuse entre la comédienne Béatrice Dalle et un détenu, Guénaël Meziani, sur le tournage du film Tête d’or de Gilles Blanchard, d’après Claudel…

« Oui, c’est un film tiré d’ateliers organisés en prison. Je voyais très souvent les acteurs, je les regonflais de temps à autre, pour ne pas qu’ils passent à côté d’une expérience extraordinaire. Car tout ce qui, à l’intérieur de la prison, permet aux détenus d’exprimer leur goût, leur capacité artistique, leur sensibilité, le fait que quelqu’un leur fasse confiance et les aide à produire des choses, tout cela leur procure un sentiment de fierté inestimable…  J’ai vu cette histoire se nouer. Guénaël Meziani tenait le rôle-titre, et Béatrice Dalle jouait son amoureuse – c’était la seule actrice professionnelle. Elle était d’ailleurs à Ploemeur comme un poisson dans l’eau. Ce Tête d’or dans le milieu carcéral a été une belle expérience, initiée d’ailleurs par le CDDB, qui intervient très régulièrement à la prison. »

Justement, vous qui avez vu naître ce théâtre et qui en êtes l’un des plus assidus spectateurs, que retenez-vous de l’histoire du CDDB ?

« C’est tout à fait annexe à l’essence de sa programmation, mais ce que j’ai apprécié dans l’équipe d’Éric Vigner, c’est ce désir immédiat – présent dans le nom même du CDDB – de s’inscrire dans le paysage lorientais. Le fait qu’il ait joué avec la ville – je pense aux spectacles à la base de sous-marins, par exemple –, qu’il ait travaillé avec des auteurs de langue bretonne ou des metteurs en scène d’ici, comme Madeleine Louarn, qu’il ait investi le domaine de Kerguéhennec ou l’ancienne forge industrielle de Lochrist pour Holocauste, recréé par Claude Régy, ou encore organisé plusieurs opérations de dégustation avec les restaurateurs lorientais… jusqu’à cette corne de brume qui annonce le début des spectacles... »

Parmi ces spectacles, quels sont ceux qui vous restent en mémoire ?

« L’Illusion comique – les débuts ici d’Éric Vigner – et, surtout, Brancusi contre États-Unis, que j’ai vu à Avignon et ici, et où l’on retrouve un peu sa famille d’acteurs – les Poitrenaux, Nauzyciel, Procopiou… Mais il y a eu aussi Marion De lorme, avec Jutta JoHanna Weiss, ou les mises en scène de Nauzyciel… »

Plusieurs spectacles de cette saison ont pour thème le rapport à la justice : Les Criminels, mis en scène par Richard Brunel, ou encore Guantanamo,  que prépare Éric Vigner d’après le livre de Frank Smith…

« Il faut se saisir des événements, on peut faire théâtre de tout… À quoi me fait penser ce nom de Guantanamo ? Aux prisons américaines évidemment, à cette ile en face de Manhattan, à DSK aussi… Lorsque vous sortez de prison après avoir fait 15 ou 20 ans dans le circuit pénitentiaire, le monde n’est plus le même, vous ne reconnaissez rien. Je me rappelle d’un prisonnier que j’avais accompagné à sa sortie de prison. Nous étions allés dans un supermarché, et il avait peur de tout. Les regards des gens sur le parking, la musique omniprésente… tout l’agressait. »

Le spirituel, particulièrement en France, semble faire l’objet d’une suspicion quasi systématique en France, où l’intégrisme laïc conduit à adopter des positions encore plus dogmatiques que celles que l’on reproche à l’Église…

« Je suis tout à fait d’accord avec vous. Aucun intégrisme ne me plaît plus que l’autre, je les déteste tous. J’ai aimé, par exemple, qu’un metteur en scène comme Arthur Nauzyciel, d’origine juive, ose ressortir Ordet, et travailler avec des thèmes qui ne sont pas dans l’air du temps : le miracle, les aspirations spirituelles… Une ouverture comme celle-ci, c’est extraordinaire – et c’est la vie, car l’Esprit fait partie de la vie ! En assistant à un spectacle, le spectateur peut être amené à se poser des questions métaphysiques, et je trouve cela tout à fait sain. Il faut un sursaut, réveillons-nous ! »

Michel Dréan en 4 dates :

1942 : Naissance à Casablanca.
1967 : Aumônier au lycée XXX.
1987 : Découvre le Festival d’Avignon.
2000 : Devient aumônier de la centrale de Ploemeur.