Théâtre de la Ville · Mars 1999 · MARION DE LORME

Théâtre de la Ville · Mars 1999 · MARION DE LORME
La diversité des critiques autour du spectacle.
Revue spécialisée
Mar 1999
Théâtre de la Ville - Paris
Langue: Français
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Journal du Théâtre de la Ville

Mars 1999

Marion de Lorme, ange ou démon ?

En début de saison, Marion de Lorme était promise à un large public.

• Première surprise : pas autant d'abonnés qu'espérés. À toute chose malheur est bon pourrait-on dire, compte tenu du sort réservé à notre chère courtisane.

• Deuxième surprise : lors de sa création à Lorient, le drame romantique - entre les mains d'Éric Vigner au parcours artistique exigeant et réussi - s'est transformé en oratorio à la gloire du verbe et de la poésie, quelque peu, cependant, au détriment de l'intrigue et des personnages.

• Sentiments personnels contradictoires : à la fois convaincu et séduit artistiquement, et insatisfait parce que ce parti pris d'Éric Vigner, radical, intelligent, cohérent, conforme aux idées du jeune Victor Hugo, tenu jusqu'à l'extrême, était incontestablement fait pour une salle réduite (300 à 350 personnes, une proximité et une intimité avec les acteurs étant indispensables) et pour un public restreint, amateurs "pratiquants" particulièrement curieux et n'ayant pas peur d'être bousculés et surtout avertis à l'avance de l'aventure - j'ai dit restreint, je n'ai pas dit élitaire!
En bref, pour moi, une création très réussie mais honnêtement quelque peu inadaptée au Théâtre de la Ville : le poids des astreintes (des salles très différentes, de 300 à 1000 places à affronter selon les villes de la tournée) et le prix de la liberté, en quelque sorte.

Nous avons immédiatement réduit la salle du Théâtre de la Ville.
Nous avons donné une information assez complète tant sur les intentions de ce projet que sur sa réalisation, aux abonnés dans le journal, et au public dans un tract.
Quant au public restreint, les faits se sont chargés de nous aider !

Pour ou contre

À Paris, pas de surprise pour ce manifeste théâtral qui demandait beaucoup, peut-être trop, au public. Opinions très tranchées, c'est le moins que l'on puisse dire, entre les pour et les contre, sans compter les intrigués et les interessés.
Les contre, rapidement "hors jeu", ont souvent quitté la salle avant la fin, en gênant, soit dit en passant, les pour qui "jouaient le jeu". Les jeunes comédiens ont défendu contre vents et marées, avec talent et conviction et jusqu'au bout, ce projet.

À notre époque, il n'y aurait pas eu de bataille d'Hernani; il n'y a donc pas eu de bataille de Marion de Lorme. Pour alimenter le débat, ci-dessous quelques opinions de journalistes représentant bien, dans leurs différences, les opinions du public :

ÉRIC VIGNER trouve la vérité de MARION DE LORME

[...] Faisant table rase des apparences, Éric Vigner ramène à l'essentiel, quitte à déstabiliser dans un premier temps le spectateur confronté à ce qui ne semble que chaos. Dans une curieuse alchimie, la froideur devient chaude. L'émotion surgit. La poésie aussi. Dégagés de tout sentimentalisme, les sentiments retrouvent la violence de la passion. [...] Entre les sons et les mots, les lumières sombres et les gestes chorégraphiques, tout n'est qu'accord parfait au service du seul verbe porté par de jeunes comédiens au jeu savamment élaboré. [...] Laissant échapper leurs paroles comme des bouches d'ombre, ils impulsent aux scènes qui se succèdent une énergie neuve, et révèlent des vérités neuves sur la pièce et ses héros. [...]
En deux heures trente de spectacle, un chemin singulier est parcouru. Celui d'un théâtre d'art, politique et poétique, qui ne montre pas, qui n'illustre pas mais qui dit tout, en s'appuyant sur les seuls mots et les signes.
Didier Méreuze
La Croix

Question de perspective

Une Marion de Lorme nettoyée de toute graisse romantique. Il n'y a pas de véritable progression dans cette pièce. Comme l'explique Éric Vigner, c'est une "variation sur un motif unique". [...] Par un travail délicat de stylisation, le jeu des acteurs concentre l'espace et le redistribue. On sent comme un souffle invisible, une menace permanente suspendue au-dessus de tous ces personnages. Mais cette mise en scène n'est pas non plus exempte de dérision. Le texte est servi, honoré, mais il est aussi placé dans une perspective, il offre une vision et une réflexion. [...]
ADEN

Un ennui cardinal

[...] Avec Éric Vigner on ne peut plus parler de décapitation, mais d'un troisième supplice inventé par ses soins : le garrot théâtral lent [...] C'est nous qui dérangeons. Le spectateur est de trop. [...]
B. Th.
Le Canard enchaîne

Liberté, pour ou contre?

HUGO à l'épreuve de la modernité

[...] L'enjeu s'est déplacé de la scène à la salle. L'assistance n'a jamais mieux mérité son nom, à la fois auditoire et ce qui devrait, pourrait porter secours. Pour mieux convaincre, les comédiens s'attachent à rendre chaque mot visible. Non pas audible (il l'est a fortiori), mais visible. [...] Leurs mains nues ont désappris le toucher et témoignent de l'impuissance d'une classe d'âge, la désespérance d'individus trop seuls pour supporter l'épreuve de la liberté qui met avec eux Hugo à l'épreuve de la modernité.
Jean-Louis Perrier
Le Monde

Dérobade

[...] C'est cela qui nous manque : un peu de sentiment, de fougue romantique, avec ce "naturel" qui est bien sûr le comble de l'art. Éric Vigner élude la difficulté : la dérision se manifeste au détriment de l'histoire, de la rêverie, de la foudre. Ce spectacle - froid, abstrait, élégant - démontre à quel point la comédie de l'intelligence peut être parfois le contraire du tact, de la sensualité, de l'amour. Reste le souvenir d'une brillante dérobade, à mi-chemin entre l'art et l'artifice.
Frédéric Ferney
Le Figaro

De "MARION DE LORME" passée aux rayons X. Il reste le squelette

[...] Les attendus dramaturgiques d'Éric Vigner sont solides. La représentation porte le sceau d'une intelligence coupante, quand bien même elle apparaît assez vite sous-tendue par un esprit de système qui la conduit, par places, non loin de la dessiccation. Le parti pris est d'une distance extrême avec la convention supposée de la scène romantique [...] Priorité est donnée à l'émission de la voix qui distille le vers, en flatte les rejets, fait un sort à chaque maille du tissu verbal qui, ainsi mis en relief, accouche indéniablement de ses mystères de composition. Nous sommes en présence d'une manière d'oratorio, parfois fastidieux, qui met sensiblement toute théâtralité sous vide et remplace, au mieux, le grotesque par l'humour, voire l'ironie. C'est déroutant, pour sûr. [...]
Jean-Pierre Léonardini
L'Humanite

La mise en scène D'ÉRIC VIGNER restitue à la pièce de VICTOR HUGO toute sa poésie

[...] Qui s'assiéra au Théâtre de la Ville dans l'attente d'un grand spectacle de cape et d'épée, avec cascades et costumes scintillants, risque d'être surpris. C'est un Marion de Lorme en version oratorio que VigneR a choisi de donner à entendre plus qu'à voir. [...]
Projet ambitieux qui présuppose que le théâtre est affaire de timbre plus que d'interprétation. [...] Et projet formidablement réussi dans ce Marion de Lorme donné à entendre à la manière d'un oratorio : 2 h 40 d'une grande limpidité, débarrassées de tout fatras romantique, de tout pathos, de tout jugement moral, et d'une grande richesse pourtant, parce que rendant justice à l'inventivité dramatique de Victor Hugo [...]
C'est Marion de Lorme au pays d'India Song, mais cela ne provoque ni agacement ni engourdissement. La fable, le sens n'y perdent rien et les vers de Victor Hugo y regagnent une virginité, une puissance d'évocation insoupçonnée qui doit beaucoup aux comédiens, à la fois tenus de suivre une proposition esthétique des plus contraignantes, et pas du tout marionnettes dont une surprenante Marion de Lorme aux accents autrichiens (Jutta Johanna Weiss). [...]
René Solis
Libération

Question de confiance

Le regretté Bernard Dort écrivait il y a quelques années : "Bien des metteurs en scène, aujourd'hui, agissent en compositeurs; ils traitent le texte comme un livret, et ils composent leur spectacle comme une partition".
Est-ce un délit, pouvant entraîner pour les intéressés d'être mis en examen pour abus de confiance et détournement de bien public? À ma connaissance, Victor Hugo ne s'est pas porté partie civile et, même pas entièrement d'accord, il aurait probablement assuré la défense de cette "liberté-là".
Les auteurs contemporains sont bien présents au Théâtre de la Ville. Nous sommes souvent déçus quand les abonnés ne choisissent pas plus les créations proposées. En prenant apparemment plus de risques, ils seraient souvent plus satisfaits qu'en faisant des choix apparemment plus sûrs. La saison dernière le Régisseur de la chrétienté de Sebastian Barry, cette saison le Passage de Véronique Olmi en ont apporté la preuve.