Entretien · Othello Vilgard (Création sonore) · SEXTETT

Entretien · Othello Vilgard (Création sonore) · SEXTETT
Entretien avec Othello Vilgard
Note d’intention & entretien
Hélène Samzun
21 Sep 2009
CDDB-Théâtre de Lorient
Langue: Français
Tous droits réservés

Entretien avec OTHELLO VILGARD  · 21 septembre 2009 · Lorient.

Quel est votre parcours de cinéaste?

OTHELLO VILGARD : J’ai toujours eu comme stylo ma caméra. Comme les musiciens qui apprennent la musique avant d’apprendre à lire, je me suis familiarisé avec un langage particulier très tôt. J’ai commencé à faire des films tout en ressentant le besoin de me cultiver. J’ai alors intégré l’univers universitaire et étudié l’histoire, l’histoire de l’Art, la philosophie mais aussi la grammaire française, la géographie... Je suis également allé voir du côté des études cinématographiques où je me suis plutôt ennuyé. Je savais que cela allait me décevoir parce que l’on était beaucoup dans la théorie, et pas une théorie qui m’intéressait. Et puis j’ai eu cette professeur, NICOLE BRENEZ, qui faisait un cours, entre autres, sur le cinéma expérimental. On pouvait étudier parallèlement des grands films de SALVIA CAGE et PREDATOR de JOHN MCTIERNAN. Elle m’a montré les films que j’avais toujours rêvé de voir et que je n’avais jamais vus. J’ai découvert JEAN EPSTEIN, le cinéma métrique de PETER KUBELKA, etc. J’ai découvert toutes ces choses qui, d’un seul coup, m’ont parlé et qui m’ont donné envie, pour la première fois, vraiment, de faire des films. J’ai donc fait un premier "vrai" film que j’ai montré à la programmatrice de la Cinémathèque française et j’ai commencé à projeter mes films là-bas.

Et vous avez monté votre propre structure...

O. V. : Parallèlement à ça, j’ai rencontré des personnes avec lesquelles je me suis associé. Nous avons travaillé pour créer une structure de création cinématographique pour des personnes qui, comme nous, se trouvaient dans un entre-deux c’est-à-dire qui n’étaient ni considérées comme des cinéastes par les cinéastes, ni considérées comme des plasticiens par les plasticiens. L’association s’appelle l’Etna [fondée en 1997 à Paris], en référence à un texte de JEAN EPSTEIN, l’un des plus grands théoriciens et cinéastes français des années 1920-1930, qui a écrit un texte absolument sublimissime, un poème au cinéma, qui s’appelle LE CINEMATOGRAPHE VU DE L’ETNA [Les Ecrivains réunis, 1926]. Ce qui nous intéressait c’était vraiment de faire des images avec tout ce qu’il était possible de prendre pour en faire. J’ai beaucoup travaillé l’hybridation des supports entre la photographie en argentique, le travail numérique de cette photographie, le "refilmage" en 16 mm, le télé-cinéma ensuite de ce refilmage, etc. L’association a pris une certaine renommée et les films qui sortaient de là ont beaucoup été projetés. On a participé à énormément de séances, dans le monde entier.

Vous êtes également passé par des études en photographie...

O. V. : J’ai réalisé qu’il me fallait apprendre la photographie pour apprendre le cinéma. J’ai repris des études en me posant cette question: "Si tu veux faire des films, comment vas-tu progresser ?". J’ai essayé de comprendre ce qu’était vraiment le médium cinématographique. Je me suis passionné pour tout ce qui est "pré cinéma", c’est-à-dire l’invention du cinéma. Toutes ces recherches chrono-photographiques m’ont passionné et me passionnent toujours. J’ai essayé d’intégrer l’intérieur de la machine cinématographique. Mon film LIGHTING retrace la naissance du mouvement photographique, en 6 minutes. J’ai toujours fait les films que j’avais envie de voir. Ma pratique est très sèche, très dure, très aride – sans perdre la dimension du spectateur, du plaisir de voir ces images-là. Ce sont des petites symphonies visuelles qui sont proposées. C’est la musique des images.

Comment a eu lieu votre rencontre avc ÉRIC VIGNER?

O. V. : Un jour JOHANNA NIZARD, qui joue dans SEXTETT, a eu très envie de faire un film à partir d’un livre qu’elle avait aimé. Comme elle ne savait pas comment filmer, elle a cherché un peu sur Internet et nous a trouvés. Elle est venue à l’association faire un atelier. À cette époque, le théâtre ne m’intéressait pas vraiment. C’était au moment de SAVANNAH BAY (mise en scène par ERIC VIGNER en 2004 pour l’entrée de MARGUERITE DURAS au répertoire de la comédie française). Johanna a invité Éric pour qu’il découvre l’ETNA. J’ai filmé la dernière de SAVANNAH BAY. Ensuite j’ai accompagné Éric en Corée sur LE BOURGEOIS GENTILHOMME (Mis en scène par ÉRIC VIGNER et créé au Théâtre National de Corée en 2004) et j’ai créé le son de PLUIE D’ÉTÉ À HIROSHIMA à Avignon – parce que je m’en sentais capable.

Comment est né le projet du film IN THE SOLITUDE OF COTTON FIELDS ?

O. V. : C’était une période très particulière pour moi – je venais d’avoir un enfant – et ce texte, qui est complexe, qui interroge, qui te fait découvrir plein de choses, m’a en quelque sorte "heurté". Je suis arrivé à Atlanta un mois après le début des répétitions.J’ai vu un premier filage et j’ai mis tout le son au deuxième filage, immédiatement. Il y a eu une sorte de magie. J’étais parti avec une toute petite caméra pour ne pas m’encombrer. J’ai filmé quasiment toutes les représentations que j’ai vues, avec une idée très claire de ce que je voulais faire. Comme Éric et moi avions déjà travaillé ensemble, j’avais déjà imaginé plein de choses. Filmer le théâtre est très compliqué : filmer le théâtre en représentation, en "live", avec le public, comment diriger son regard... La prise de vue est déterminante pour tout le montage. Je suis revenu en France et j’ai fait le film dans la foulée. Généralement j’ai besoin de laisser les choses reposer un peu, les laisser mûrir par rapport à ce qui a été fait et pensé, pour pouvoir les ressortir dans un autre langage. Mais pour le film IN THE SOLITUDE OF COTTON FIELDS, il y avait une évidence. Faire le son avant de travailler sur l’image était un travail préparatoire tr ès positif et déterminant : je connaissais la couleur du film – du noir et blanc en l’occurrence (rires)– sa couleur musicale. J’avais perçu la forme musicale de la pièce.

Ce projet s'inscrit donc dans la continuité de vos premières recherches dans "l'intérieur de la machine cinématographique"?

O. V. : Éric me donne vraiment la possibilité de m’exprimer comme j’en ai envie. On ne cherche pas à faire quelque chose d’"académique". Ce qui est intéressant c’est justement d’être dans cette recherche.
Ces collaborations avec Éric font partie de ma formation. J’ai appris à aimer le théâtre beaucoup plus, à aimer les acteurs, à vouloir les filmer davantage. Au cinéma, tu peux montrer autrement que "psychologiquement parlant"; tu peux montrer le très grand et le tout petit ; ce que tu ne peux pas vraiment faire au théâtre, visuellement. Ensuite les images parlent d’elles-mêmes. Par exemple, lorsqu’une image permet de faire un lien entre le regard d’un homme et la ceinture d’une femme – c’est ce qu’explique EISENSTEIN – d’un seul coup, tu as un élément de montage qui implique un désir.
Le théâtre porte des mots. Le cinéma, lui, peut se passer des mots. Et souvent il s’en embarrasse. On te montre une image, on te dit ce qui se passe et en même temps on te met une musique terrible. Tu es tout le temps guidé. Il y a des images partout. Tu es abreuvé et finalement tu ne sais plus rien regarder. Ce qui m’intéresse c’est de voir les choses sous un autre angle.

Quelle est la prochaine étape pour ce film?

O. V. : Ce sera une vraie installation cinématographique, avec quatre écrans, qui "casse" le rapport entre la scène, la salle et le plafond. L’idée est de se trouver à l’intérieur des images pour les vivre ; de travailler sur la surprise visuelle sans cesse réengagée.

Pour la création sonore de SEXTETT, sur quel élément en particulier travaillez-vous?

O. V. : Je travaille toujours de manière intuitive au début. J’ai fait le son de JUSQU'A CE QUE LA MORT NOUS SEPARE, ce qui me donnait une idée de départ pour SEXTETT, tout en sachant que ça allait être différent. J’aime beaucoup l’écriture de RÉMI DE VOS. Dans JUSQU'À CE QUE LA MORT NOUS SEPARE – qui a très bien marché – le son a fait partie intégrante du projet, comme un véritable acteur. Lorsque je prépare une création sonore, j’écoute beaucoup de musique pour me faire des idées et j’attends que le jeu se place pour pouvoir intervenir. Il s’agit d’essayer de trouver un autre rapport entre le son et le jeu des acteurs. On essaie de "tirer" les choses, de les rendre un peu paradoxales, de ne pas jouer le sentiment de ce que l’on voit, de ce qui sort de la bouche des acteurs; on essaie d’être plus subtil. Le texte de SEXTETT est vraiment différent de JUSQU'À CE QUE LA MORT NOUS SEPARE. C’est 5 filles et 1 garçon et non une relation triangulaire comme dans l’autre pièce. Pour moi cette complexité-là est nouvelle. Avec Éric et avec les acteurs, on cherche des idées. Je fais des propositions, on essaie des choses. On voit comment ça se déploie à l’intérieur du spectacle. Ensuite la ligne commence à se tendre et les trous, les manques, deviennent évidents. Je suis très optimiste. Toujours. Je n’ai pas de doute que cela va bien se passer. Mais c’est du travail. Du travail et de l’angoisse.

Entretien réalisé par HÉLÈNE SAMZUN, chargée des relations avec le public