Lettre de MUNK à sa mère · 31 octobre 1925 · ORDET

Lettre de MUNK à sa mère · 31 octobre 1925 · ORDET
Lettre de MUNK à sa mère à propos du décès en couche de la femme de Kristen Madsen.
Dramaturgie
Kaj Munk
1925
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Lettre de MUNK à sa mère · 31 octobre 1925

Tu aurais dû la voir, maman, cette jeune femme de trente ans, allongée, son fils sur le bras, ce petit garçon contre la poitrine froide et raide. Et son vieux père, ce pêcheur dur et fort, POUL KNAK, qui était debout contre le mur d’un côté du lit, tandis que sa femme, la mère de la jeune femme, se tenait de l’autre ; le vieux pêcheur était immobile et il regardait fixement le visage mort de sa fille, immobile pendant des heures − la seule chose qui bougeait, c’était son menton – oh ! maman, si tu avais vu ce menton. Et son mari pleurait, pleurait, pleurait, si fort que ses genoux en tremblaient, tandis que ses deux petites filles (8 et 5 ans) se promenaient sans rien comprendre. Et on m’a raconté que les deux mariés se réjouissaient beaucoup en pensant qu’ils allaient avoir un enfant de plus, ils pensaient sans doute que ce serait un garçon, et c’est bien ce qui est arrivé. Car l’accouchement s’est très bien passé. Le docteur s’était déjà assis pour boire du café quand une hémorragie s’est brusquement déclarée. Et elle a perdu tout son sang, pendant que le docteur regardait sans pouvoir rien faire... KRISTEN MADSEN, c’est le nom de l’homme qui est devenu veuf, a un frère qui possède une petite ferme à dix minutes de chez lui; il a perdu sa femme il y a 2 ou 3 ans. C’était pénible de le voir aujourd’hui repasser par toutes les souffrances qu’il a eues il y a quelques années. Mais le plus terrible, ce fut lorsqu’ils étaient sur le point de mettre le couvercle : tout d’abord, c’est son père qui lui a tapoté la joue et la main, puis sa mère lui a passé la main sur la poitrine, et tout à coup, KRISTEN MADSEN s’est jeté par terre et a donné un baiser au cadavre - oh, mon Dieu ! il a donné un baiser au cadavre, un baiser sur la joue. Puis on a amené les petites filles pour qu’elles tapotent le front de leur mère, mais elles ne comprenaient rien (...) Mais je ne l’oublierai jamais, elle, allongée, son fils sur le bras, son vieux père contre le mur d’un côté, et sa vieille mère contre le mur de l’autre côté, et son mari se reposant ici et là en sanglotant. Et je n’oublierai jamais le moment où il a donné un baiser au cadavre.