Colette Godard :...mais ça a mis deux ans et les arguments sont assez étranges et franchement, moi j'ai eu l'impression quand j'ai vu le spectacle, que c'était une sorte de pastiche et bien il paraît que non, pas du tout, alors ÉRIC VIGNER va vous raconter un peu quels sont les minutes de ce procès.
ÉRIC VIGNER : Je ne sais pas, peut-être que les gens qui sont ici l'on vu, ... À ce moment-là on peut, peut-être, commencer directement par les questions ?
C. G : Non... problème de micro...
E. V : Le procès BRANCUSI est le procès qui a opposé CONSTANTIN BRANCUSI aux États-Unis en 1926. Je vais essayer un peu de raconter la petite histoire, en 1926 donc, CONSTANTIN BRANCUSI a voulu faire une exposition à New York et il a envoyé une quinzaine d'œuvres d'art à New York et, en arrivant à la douane ses œuvres ont été saisies et taxées à 40% de leur valeur, comme des marchandises, on a appliqué une loi qui concernait les objets manufacturés. Donc on ne reconnaissait pas le statut d'œuvre d'art aux sculptures de BRANCUSI, il faut dire que les œuvres d'art rentraient en franchise aux États-Unis parce que les États-Unis voulaient faire circuler assez librement les œuvres d'art pour les faire connaître, etc. Donc, DUCHAMP, ami de BRANCUSI, a voulu organiser ce procès pour faire admettre que les œuvres de BRANCUSI étaient des œuvres d'art mais aussi pour faire admettre l'idée de l'abstraction disons, une nouvelle école d'art moderne, que l'on pourrait nommer l'abstraction; et on mettait BRANCUSI dans ce mouvement d'abstraction alors que l'on ne peut pas dire qu'il était abstrait, il a servi au moins à ça et donc en 1928, après deux ans de procédure la cours des douanes des États-Unis décide qu'une nouvelle école d'art moderne est née, qu'elle existe, et qu'elle tente de représenter des idées abstraites plutôt que d'imiter des objets naturels. Elle définit cette chose-là. Elle reconnaît donc l'abstraction en tant qu'art. C'est quand même un pas dans la pensée qui est assez étonnant, que ce soit la loi qui le reconnaisse c'est assez intéressant.
C. G : C'est-à-dire, là, il y a vraiment deux langages qui ne peuvent pas s'entendre : le langage très concret de la loi et le langage artistique? Qu'est ce que veut dire la définition d'une œuvre d'art ?
E.V : Il y a beaucoup de chose parce que lorsqu'on pose la question aux gens : "pourquoi c'est une œuvre d'art pour vous ?" Ils sont bien embêtés pour répondre évidemment, alors ils disent le plus souvent parce que c'est beau, parce que ça leur procure une émotion, parce que ça a une forme etc. mais c'est difficile de définir l'œuvre d'art, ce qui est intéressant dans ce procès c'est justement la lutte, c'est une question sans fin, sans réponse en plus qui change au fil du temps, à un moment donné dans l'histoire on y répond, c'est-à-dire, BRANCUSI, maintenant, est un classique mais bon il doit y avoir d'autres artistes dont on doit admettre qu'ils font des œuvres d'art. Moi ce qui m'intéressait c'était de poser la question de l'ouverture, c'est-à-dire de se dire, voilà où on en est théâtralement, par exemple, qu'est-ce que le théâtre? Est-ce que c'est de l'art le théâtre ou pas de l'art? Est-ce que ça peut prendre une nouvelle forme? Vers où ça va? Simplement, c'était de poser la question, pas d'y répondre évidemment.
Monsieur "Monde" : Je vais être beaucoup plus terre à terre que vous là, je voudrais savoir pour un journal comme Le Monde ce que signifie le vrai, le faux et l'illusion, thème du débat, là le débat est plus concret et on va pouvoir s'expliquer évidemment parce que je lis, par exemple ce matin, j'ai lu le monde comme j'ai l'habitude de le faire depuis 50 ans et un titre intitulé "l'Europe face à la Mondialisation" c'est banal ça va peut être vous faire rire, vous amuser (mais enfin c'est un peu pour ça qu'on est là hein), je voudrais savoir ce que signifie "mondialisation" et alors je trouve une définition sur le monde qui n'a pas été retenue de "réseau" alors je voudrais savoir plus banalement ce que signifie un réseau, la mondialisation est un réseau, un réseau pour moi c'est quelque chose de clandestin qui se camoufle qui se cache alors serait-ce un réseau de mafieux, oui, parce que finalement on nous inonde de paroles qui, pratiquement, ne semble pas signifier et on se demande ce qu'il y a là dedans et le journal suggère, il n'a pas retenu cette définition mais il ne dit pas exactement ce qu'il en pense, alors finalement un journal sérieux comme Le Monde est tenu d'abord de nous préciser, parce que c'est une question qui a beaucoup plus d'importance, parce que finalement on utilise des mots, on abuse donc on ment dans un but répressif, on veut donner l'illusion aux gens que c'est quelque chose d'indéfinissable on trompe les gens donc on est on obliger de mentir...
C.G : Justement, je pense que toute la question, en tout cas pas sur la mondialisation, mais la question du spectacle est : la difficulté de définir d'une manière disons définitive quelque chose qui arrive, qui passe, je veux dire par là qu'il s'agit de la définition d'un objet d'art qui s'appelle "un oiseau", qui n'a pas une forme d'oiseau tel que l'on peut le voir dans le ciel, et que ça devient d'un seul coup une histoire complètement absurde, enfin complètement surréaliste et ce n'est pas du tout la mauvaise foi ni des légistes ni des artistes, c'est la difficulté de trouver un langage commun à deux formes de pensées qui n'ont rien a voir l'une avec l'autre...
Une femme : Monsieur VIGNER, je voudrais d'abord vous féliciter pour ce que vous faites en général, vous nous avez dit, juste avant cette intervention que ce que vous nous avez présenté là était une question sur le théâtre, or moi j'ai trouvé que lorsque vous avez présenté PLUIE D'ÉTÉ ou L'ILLUSION COMIQUE, la question du théâtre était bien posée, plastiquement, dramatiquement, Duras ce n'était pas du théâtre justement, enfin elle n'a pas écrit une pièce de théâtre, présenter Corneille de cette façon ça m'a beaucoup plus et hier il m'a sembler lire ARTHUR DANTO qui a présenté l'œuvre de WARHOL de cette façon là, dans la transfiguration du banal et je me suis posée la question en sortant, est-ce qu'il était nécéssaire d'amener une sorte d'esthétique analytique au théâtre pour ramener les spectateurs à penser, est-ce qu'il y avait urgence de dire tout ça sur l'art, sur le statut de l'œuvre, sur le statut de l'artiste sur le critique, enfin tout ce qui a été démontré là, j'étais ravie, je reste un peu intérrogative, intérrogative parce que je suis arrivée en retard et je ne sais pas si ce que vous avez présenté à été entièrement écrit ou... par qui ça a été écrit ?
E.V : Ce sont les minutes intégrales du procès il y a que deux témoignages qui ne sont pas là, le témoignage du Directeur du SUN et puis le Directeur d'un autre musée que celui du Brooklin Museum of Art
La même Femme : Alors ARTHUR DANTO a repris toutes les minutes (lu procès pour faire un procès à Andy WARHOL...
E.V : Mais c'est un procès qui a fait jurisprudence, c'était un procès très important dans les années 30 aux États-Unis ce n'était pas une petite chose...
C.G ... : C'est une histoire assez compliquée à partir de "qu'est ce qu'une œuvre d'art", c'est parfois ambiguë parce que sous prétexte que c'est merveilleusement fait, merveilleusement écrit, merveilleusement peint, merveilleusement sculpté, on peut tout dire et inversement est-ce que sous prétexte que ça ne plaît pas à certains pouvoirs est-ce qu'on a le droit de les censurer. C'est quand même une question sans fin évidemment, et assez compliquée parce que là, il s'agit de l'art abstrait...
E. V : Il s'agit de l'art en général, il s'agit toujours de l'opposition entre les modernes et les anciens ou les anciens et les modernes, c'est-à-dire à un moment on établi des lois, on a des critères esthétiques, on reconnaît que quelque chose est de l'art et puis évidemment il y toujours des artistes qui naissent qui avancent, qui voient le monde toujours d'une façon nouvelle ou autre, et qui veulent proposer leur vision du monde à travers leur art, que ce soit le théâtre, les Arts Plastiques, et donc il y a toujours querelle entre les anciens et les modernes c'est infini c'est-à-dire que le monde avance; c'est au niveau de la vie même que ça se passe, moi ce qui m'intéressait c'était de poser cette question à travers ce texte que je trouve complètement surréaliste, absurde aussi, c'est mieux que Ionesco à des moments, c'est fou, c'est-à-dire qu'à un moment donné ils prennent l'œuvre de BRANCUSI et ils se demande si en la tordant en changeant sa forme on arriverait à faire une œuvre d'art suivant les critères américains, on arrive à des situations totalement démentes, mais moi ce qui m'intéressait par rapport à ça c'était l'opposition de la langue de la loi, c'est à dire quelque chose qui fait preuve, il faut avoir des preuves tout le temps, il y a une chose qui revient tout le temps qui est magnifique c'est "OBJECTION POUR IMMATÉRIALITÉ" c'est-à-dire j'objecte que c'est immatériel donc que ça n'existe pas, on ne peut pas le prouver, c'est de la poésie pure, c'est vertigineux de travailler là-dessus parce que l'on part d'une pièce à conviction qui s'appelle "L'OISEAU DANS L'ESPACE" et puis on se pose le problème de savoir si le nom correspond à la chose alors, voilà, le langage prend différente formes c'est ça qui m'intéresse au théâtre c'est que le mot "oiseau" n'aura pas le même sens, ni le même son, ni la même signification suivant qu'on est un procureur, un avocat, un artiste ou un spectateur c'est-à-dire que chacun va comprendre, sentir le mot "oiseau" d'une façon différente.
C. G : Oui il y à même d'autres sculpteurs qui sont amenés à témoigner pour dire si en tant que techniciens ils pensent que c'est un oiseau, c'est ça ?
E. V : Oui, Il y a deux sculpteurs américains qui sont des sculpteurs dits académiques qui représentent des choses immédiatement reconnaissables et qui témoignent en disant que L'OISEAU DANS L'ESPACE de BRANCUSI n'est pas une œuvre d'art, et quand on demande à Jones ce qu'il fait actuellement, il dit j'ai une oeuvre qu'on installe actuellement sur le Memorial Bridge et on lui demande ce que représente cette oeuvre et il dit "l'agriculture"... je trouve ça formidable, on est dans le paradoxe absolu... à quoi ressemble l'agriculture...
Madame "Roumaine" : Je suis très curieuse de savoir comment l'idée de ce spectacle vous est venue, en quelque sorte la genèse, je trouve que c'est assez magique et comme je suis roumaine d'origine, évidemment j'aimerais savoir si vous aimez BRANCUSI, si c'est l'amour pour le sculpteur qui vous a fait choisir ce spectacle où tout simplement l'événement en soi et peut être le désir de faire le point dans ce débat entre le moderne et l'ancien.
E. V : Peut-être que le départ de cette histoire a été lié à la création de BAJAZET de RACINE à la Comédie-Française parce que pour la première fois je me suis attaqué à RACINE enfin, j'ai présenté ma vision de RACINE à la Comédie-Française, le travail s'est bien passé etc., et justement le jugement, la critique... enfin la perception de cette mise en scène a été très polémique et moi je n'avais pas du tout l'impression d'avoir fait quelque chose de.. enfin c'était une vision, une proposition c'est tout ... et je me suis dit: tiens, c'est bizarre, ça provoque des réactions très violentes quelque part, alors je me suis posé la question de l'esthétique parce que les critiques qui venaient - c'était justement ce qu'on reprochait à BRANCUSI - disaient "ce n'est pas beau, c'est laid, on a jamais vu un spectacle aussi laid", enfin il y avait un argumentaire qui était assez curieux. J'ai commencé par faire des études d'Arts Plastiques alors j'avais dépassé depuis longtemps la notion du beau et du laid, j'étais un peu ailleurs, et tout d'un coup revenait cette chose-là c'est-à-dire le jugement sur l'art, alors moi je considère que le théâtre est un art donc j'essaie d'aller plutôt dans le sens de l'art que dans le sens du spectaculaire, et donc je me suis posé la question comment on pouvait juger d'où on venait, l'histoire de l'esthétique elle existe, on ne peut pas avancer tout seul, il ne peut pas y avoir que les artistes qui inventent, il faut aussi que tous les gens qui participent à l'art à leur niveau inventent, d'une certaine façon, et je trouvais que très souvent ils étaient en retrait par rapport à ça, voilà, alors je me suis dit, c'est marrant, ça concordait avec l'exposition BRANCUSI qu'il y avait à Beaubourg (rétrospective), et donc ADAM BIRO avait publier les minutes du procès, je tombe sur ce bouquin et je me dis tiens ça serait intéressant de faire ça au théâtre et en particulier pour le 50ème Festival d'Avignon parce que c'est un anniversaire (j'aime bien les anniversaires) je me suis dit si il y a quelque chose à faire c'est peut-être ça, plutôt que de faire un spectacle, c'est poser cette question là, alors évidement sans y répondre, ou en y répondant avec mes moyens esthétiques à moi, ma forme à moi, ma façon d'envisager le théâtre, voilà, et c'est ça, je dirais qui m'a poussé à faire ce spectacle et puis c'était une question sur le théâtre, la dame disait tout à l'heure L'ILLUSION COMIQUE le propos, c'est théâtre, LA PLUIE D'ÉTÉ c'est le théâtre, pour moi à chaque fois que je fais du théâtre, mon propos c'est le théâtre, ce n'est pas de monter L'ILLUSION COMIQUE qui m'intéresse, c'est proposer une nouvelle forme, comment je peux parler aux gens aujourd'hui, qu'est ce que je peux inventer, qu'est ce que je trouve nécessaire, voilà, et ce qui était bien avec ce procès BRANCUSI c'est que j'ai rencontré BRANCUSI, ce que je veux dire c'est que lorsque j'ai fait mes études d'Arts Plastiques j'étais passé à côté de BRANCUSI parce que pour moi c'était un sculpteur académique. J'étais plutôt du côté de WARHOL, des conceptuels, DUCHAMP etc., et BRANCUSI j'étais passé à côté en disant oui c'est pas mal, et avec ce procès on a rencontré beaucoup de gens et des œuvres aussi, on les a regardées et ça m'a profondément plu BRANCUSI, parce que BRANCUSI est quelqu'un qui, justement, est rattaché au passé c'est-à-dire que c'est quelqu'un qui ne renie pas son passé, c'est quelqu'un qui fait exactement le lien entre la sculpture traditionnelle, c'est-à-dire le travail lié à la sculpture et l'abstraction et c'est quelqu'un qui travaille dans l'essence des choses, c'est-à-dire qu'il essaie de mettre dans une forme une idée, c'est un paradoxe absolu que de mettre dans du bronze quelque chose de l'essence du vol, de travailler toute sa vie sur l'essence du vol par exemple, c'est dingue il faut être fou, il faut être un artiste pour faire ça et BRANCUSI en plus a un processus sériel c'est-à-dire qu'il ne fait pas une oeuvre d'art, il ne fait pas une oeuvre plus une autre, plus une autre, il travaille toujours à la même chose, toute sa vie, pour arriver au rien je dirais, ou au tout du monde ; Alors c'est une démarche qui me passionne absolument et j'ai retrouvé quelque chose de mon travail dans BRANCUSI ; ça m'a aidé à un moment donné, je me suis dit si je veux faire quelque chose au théâtre c'est plutôt ça : aller vers l'essence, je serais plutôt un essentialiste plus qu'autre chose, mais je trouve ça bien et ce que j'aime aussi c'est ce rattachement au passé c'est-à-dire ne pas couper le lien avec les pères, c'est-à-dire ne pas dire : "oui on est une bande de jeune metteurs en scène on dit merde aux vieux metteurs en scène", non ! on vient de quelque part et on va quelque part on ne sait pas vers où on va mais on y va, donc le temps du théâtre est un temps du présent du théâtre, un temps de la vie, c'est un moment ou les gens sont ensemble, se regardent s'écoutent, voilà c'est tout, ça s'arrête là, et moi si je peux leur donner quelque chose de l'ordre de la joie, les conforter dans le fait qu'ils existent c'est bien, mais c'est tout, c'est tout ce que je peux faire, moi je participe à la vie comme le boulanger qui fait bien son pain participe à la vie, celui qui fait mal son pain il ne participe pas à la vie pour moi, voilà c'est tout, un artiste pour moi ce n'est que ça, je n'ai pas d'idée sur le monde.
C.G. : Mais vous venez d'où alors, vous dites je viens de quelque part, je vais je ne sais pas où alors vous venez d'où, vous le savez ?
E.V : Ben, moi je suis Breton déjà , mon père est garagiste...
C.G. : ... Théâtralement parlant...
E.V : Non, je plaisante ! Théâtralement parlant, mes influences, ce que j'aime...j'ai eu la chance de faire un spectacle qui s'appelait ELVIRE JOUVET 40 et j'ai beaucoup appris avec ce spectacle, avec Clévenot qui interprétait, entre guillemet, la parole de JOUVET et ce qui me plaisait dans cette histoire c'était l'idée du sentiment en art. C'est-à-dire qu'on était dans une période, je trouvais, où justement on était un peu dans l'idée sèche et ce qui se passait au théâtre à ce moment là je trouvais que c'était quelque chose toujours, peut être l'héritage de DUCHAMP mais mal digéré, du conceptuel de l'idée de l'abstraction et moi j'ai toujours pensé que le théâtre c'était quelque chose qui était lié au sentiment voilà et alors avec JOUVET on était confronté à ça, ça a duré trois ans ce spectacle donc au bout d'un moment j'étais d'accord avec ça voilà, donc je dirais d'une certaine façon il y a eu JOUVET et puis à la même période, pour moi c'était concomitant, il y a eu VITEZ. Pour moi, c'était sûr c'était quelqu'un qui cherchait, mes professeurs c'était des gens qui avaient travaillé avec VITEZ par exemple, Brigitte Jaques, Valérie Dréville au conservatoire qui jouait avec VITEZ le SOULIER DE SATIN , on travaillait du Claudel ensemble, enfin je ne sais pas, les gens que je fréquentais à ce moment là étaient plutôt des gens qui étaient dans l'entourage de VITEZ et puis l'influence des metteurs en scène, enfin des mises en scènes c'étaient plutôt des influences allemande c'est-à-dire c'était Claus PeymanN, la Bataille d'Arminius de Kleist à l'Odéon, je ne comprends pas pourquoi PeYmanN ne va pas plus souvent en France parce que c'est un très grand metteur en scène...
C.G. : parce qu'il est trop cher !
EV : ... oui mais enfin bon, c'est dommage. . . et puis l'autre, le grand, le plus grand metteur en scène du monde, c'est Klaus-Michael GrÜber, pour moi une mise en scène de GrÜber je peux tenir une année, par exemple la dernière SPLENDIDE de Genet,"... moi pfuff !..." si j'arrivais à faire un jour un dixième de ce qu'il fait je serai heureux. Voilà pour les metteurs en scène c'était plutôt ça plus que les metteurs en scène français même si j'ai beaucoup d'estime, Chéreau par exemple c'est un metteur en scène que j'aime beaucoup quand même...
(C.G. : j'espère... ! ) : mais enfin je préfère GrÜber, et puis les influences c'étaient les Arts Plastiques aussi, le déclencheur pour moi ça été l'étude des Arts Plastiques il y avait du théâtre dedans et puis les auteurs, surtout les auteurs.
Une spectatrice : Voilà, moi je voulais vous dire que j'ai beaucoup apprécié votre mise en scène, votre spectacle m'a beaucoup plus j'ai été un peu frustré, et je voudrais demander à l'acteur qui est là parce que je viens de le reconnaître, j'ai bien aimé son jeu, je peux lui dire ? ... je me demande si, vous avez parlé toute à l'heure du Ionesco, du sentiment etc. Est-ce que c'est un choix de votre part d'avoir laissé la pièce dans quelque chose d'assez chic, de ne pas être allé un tout petit plus loin, est ce que c'est voulu de votre part ?... Je ne me rappelle plus de votre nom, New York c'est ça ? est-ce que dans votre jeu, à un moment vous ne vous êtes pas senti un peu frustré, est-ce que vous n'avez pas envie de pousser la pièce plus loin dans le côté "Ionesco", de pousser la pièce plus loin sur le plan théâtral ?
Laurent Poitrenaux : c'est compliqué parce que les minutes du procès sont absurdes en soi et en même temps le texte n'a pas de poésie, justement c'est un texte de loi, alors nous, on a cherché à inventer autour, en même temps c'est en devenir ce qu'on fait actuellement, ça va évoluer, alors aller plus loin oui, mais Eric a cette faculté de s'arrêter, en répétition en tout cas, sur un mot ou une phrase, après il peut délirer sur un mot ou sur une phrase, moi c'est ce qui fait qu'un jour je chanterai toute la chanson "New York" après je chanterai la chanson "Paris" c'est ça l'imaginaire c'est que derrière chaque mot il y a soit des chanson soit des musiques ...
La même spectatrice : Ce n'est pas une critique, c'est simplement de demander si c'est un choix entre les acteurs et le metteur en scène à un moment donné de décider volontairement de ne pas aller dans la théâtralisation des minutes de ce procès ?
E. V : Non... C'est en devenir. Ce qui est présenté au Festival d'Avignon, pour moi c'est un premier jet, comme en peinture, c'est-à-dire que ça à été fait pour cette salle, symboliquement cette salle est très forte, c'est la salle du Conclave du Palais des Papes où ils se réunissaient etc... c'est un espace démocratique de Procès, chacun est juge et partie, chacun est dans un trône et le spectateur est en mis en position de décider quelque chose par rapport à l'art ; mais c'est un premier jet, j'espère que l'on va aller plus loin au niveau de l'interprétation ou de la théâtralité de la prise de parole, le rapport à la langue est pour moi encore très souvent en dessous de ce que j'imagine mais le processus théâtral fait qu'il faut du temps,c'est-à-dire que ça c'est le premier jet, 7 représentations, ici, à Avignon dans cette salle, en octobre on ouvre le CDDB à Lorient avec LE PROCÈS BRANCUSI dans une autre configuration, dans une autre mise en scène, avec un autre travail et puis les choses auront déposées, on va être plus précis, on va aller plus loin par rapport à un esprit général je dirais. Après on va jouer à Tarbes dans un vrai Palais de Justice, puis à Forbach dans l'est de la France dans un carreau de mine etc. C'est-à-dire qu'on va changer de lieu a chaque fois, j'aime beaucoup parce que je trouve que le théâtre c'est pas fixe surtout ce n'est pas fixe il faut se mettre en danger absolument, il faut se mettre en position d'évoluer à chaque fois, c'est vrai que là, c'est une première période qui est plutôt bleue !...
Laurent Poitrenaux : Il y a une histoire de sens qui est très importante aussi, en tout cas pour les avocats... les témoins c'est un peu différent, les avocats ont une logique de prétoire c'est-à-dire que lorsque l'on décortique tout il y a quinze questions qui paraissent anodines, et qui brouillent les pistes pour arriver en fait à la seizième qui va tout changer, alors on ne peut pas simplement délirer sur ces questions c'est ça, sur le travail qui était assez compliqué. Pour les témoins c'est encore autre chose, eux disent des choses sensibles, tentent de dire des choses sur l'œuvre d'art, donc ça il faut que ça reste, mais après peut-être effectivement à travers plus de musicalité... mais le travail est en devenir c'est clair.
Jean-François Coignard : Moi je voudrait revenir sur ce qui a été dit par rapport à la question d'où vient ÉRIC VIGNER parce qu'il a parlé de JOUVET et ensuite il a parlé de VITEZ ; pour ce qui est de VITEZ je vois très bien le problème on voit que ce genre de texte, de travail théâtral qui consiste à faire théâtre de tout comme disait VITEZ je crois, avec tous les problèmes que cela pose, et je crois que ça mériterai peut-être que l'on approfondisse ce point de vue là, est ce que ce texte est un texte qui se prête au théâtre ou qui peut le devenir : j'aimerai bien que l'on revienne là-dessus, mais je voudrais poser la question sur l'origine, sur le sentiment, là je ne comprends pas trop, je ne comprends pas comment ÉRIC VIGNER peut dire qu'il vient de JOUVET et de la conception du sentiment qu'avait JOUVET parce que je n'ai pas vu LE PROCÈS BRANCUSI mais j'ai vu L'ILLUSION COMIQUE et il me semblait qu'on allait vers des recherches qui n'étaient pas du domaine du sentiment mais qui étaient plutôt du domaine conceptuel et assez formaliste parfois. Alors là je voudrais qu'il précise la notion de sentiment.
E. V : Voilà, alors voilà, on est confronté au procès BRANCUSI, voilà c'est évident, à chaque fois c'est la même chose, c'est-à-dire est-ce que "l'oiseau" de BRANCUSI provoque du sentiment, est-ce que ça provoque une réaction émotionnelle ou est ce que ça ne provoque pas une réaction émotionnelle : on est exactement dans le cœur du sujet. Alors pour certains ça provoque une réaction émotionnelle et pour d'autres ça ne provoque pas de réaction émotionnelle et c'est tout. Voilà c'est-à-dire que moi une chose qui va m'émouvoir profondément peut apparaître totalement formelle et conceptuelle pour quelqu'un d'autre. C'est tout ce que je peux dire, il n'y a pas de vérité en art, c'est à chacun sa vérité, les spectateurs sont en face de quelque chose, moi je ne sais que ce qui m'anime, c'est quelque chose de l'ordre du sentiment, mais le sentiment n'est pas lié à ... le sentiment dont parle JOUVET est un mot fourre-tout c'est comme la pièce à conviction N°1 du procès, c'est comme le titre du procès, c'est comme "l'oiseau" du procès, c'est un mot fourre-tout c'est à dire que ça n'existe pas, le sentiment dont parle JOUVET n'a rien à voir avec la sentimentalité ou le romantisme par exemple c'est absolument de la même nature ... (C.G. : : pour vous !) ... pour moi ! mais c'est-à-dire quand il donne des leçons à Claudia, une élève du conservatoire, sur la deuxième scène du DOM JUAN de Molière, il lui dit tu comprends à ce moment là elle marche sur les eaux, elle entre, elle ne touche pas terre etc. il lui dit tu comprends ce qui compte c'est le sentiment, le sentiment, le sentiment, il lui parle du sentiment tout le temps parce qu'il ne peut pas exprimer, c'est-à-dire que, c'est comme l'amour, on a beau dire l'amour, l'amour ça va prendre telle signification pour l'un et telle signification pour l'autre et ça va raisonner d'une façon ou d'une autre il y en a qui vont s'approcher de la passion et les autres qui vont plutôt rester du côté de l'amitié, je ne sais pas comment dire, à chacun sa vérité, voilà, mais je voudrais dire une chose sur la recherche, je pense que la recherche n'est pas simplement formelle c'est-à-dire que la recherche d'une forme, je pense que oui ce qu'il faut faire aujourd'hui c'est travailler la forme c'est trouver la forme c'est l'inventer cette forme et qu'elle soit la moins sèche possible, évidemment, et c'est ça qui compte.
Une Madame : La notion de plaisir en art est très importante, donc c'est à partir du déjeuner sur l'herbe qu'on trouve la notion de plaisir c'est-à-dire chaque artiste créé pour lui-même pas pour lui-même pas pour les autres.
E. V : Non, je ne pense pas ! Moi je pense pas du tout ça parce que je pense qu'on ne crée pas pour soi-même, je dirais, ce serait absolument stérile si on créait pour nous même on serait fou, c'est-à-dire ça suffirait on resterai dans notre chambre et puis on se ferait notre petit cirque à nous- mêmes et puis ça irai, je crois que les metteurs en scènes et les artistes sont des gens qui travaillent absolument pour tout le monde, en permanence, mais seulement ce qu'ils proposent ne plaît pas à tout le monde c'est çà la différence et ça plaît à certains et pas à d'autres, et puis c'est tout, ça s'arrête là il n'y a pas (le vérité, je veux dire un type qui plairait à tout le monde c'est pas un artiste, c'est aussi clair que ça où il est mort à ce moment là..
C. G : Oui c'est ce que j'allais dire. Disons Léonard de Vinci par exemple.
E. V : Oui tout le monde dira que c'est formidable Léonard de Vinci ... mais il est mort !
La même Madame : Je ne suis vraiment pas d'accord sur le fait que l'artiste crée pour les autres, ce n'est pas vrai du tout, au départ il y a sa vérité à lui qu'il doit exprimer, je veux dire, que ça part de lui, ça va vers les autres.
E. V : Voilà ben voilà vous l'avez dit, ça part de lui ça va vers les autres !
La même Madame : Il y a une ouverture c'est évident sinon il devient fou, mais des fous il en faut pour ouvrir les yeux aux autres.
E. V : Oui mais ça dépend de ce qu'on appelle fou.
La même Madame : Vous l'avez défini, vous avez dit que c'était quelqu'un qui serait enfermé avec son art qui se regarderait le nombril en fait, qui serait dans un cercle où personne ne le regarderait, non...?
E. V : Mais enfin on ne peut pas imaginer que quelqu'un se dise écrivain ou artiste et qu'il écrive pour lui même, enfin on ne peut pas imaginer que quelqu'un fasse de la peinture pour qu'elle ne soit jamais regardée. C'est impossible, à partir du moment ou l'on fait quelque chose c'est pour que ce soit regardé, absolument et par le plus grand nombre si c'est possible...
La même Madame : Je ne crois pas...
E. V : Mais si
La même Madame: Uh... Le mouvement qui donne naissance à ça n'est pas le fait d'être regardé c'est d'abord le fait de n'avoir que ce médium là pour faire passer quelque chose, oui mais faire passer au même titre que vous parlez, que vous manger... vous mangez parce que vous avez faim, vous ne mangez pas parce que les autres vous regarde!
E. V : Mais manger ce n'est pas de l'art forcément !...
E. V : Mais bien-sûr l'artiste c'est quelqu'un qui travaille avec les autres pour les autres, il ne travaille pas pour lui même, sinon ce n'est pas un artiste, enfin pour moi c'est ma définition sinon c'est quelqu'un qui fait un loisir, il fait un peu de crochet, un peu de peinture, un peu de théâtre.
Une femme : Est-ce qu'il ne faudrait pas introduire la notion de malentendu,... non mais je veux dire par là que, même si un artiste pense avoir quelque chose à faire passer, il n'est pas certain du tout que ce qu'il va faire passer sera ce qu'il aura voulu, chacun vit avec son passé, son devenir, et, surtout avec son inconscient.
E. V : Absolument, absolument, ce n'est pas parce qu'on imagine quelque chose et qu'on a à un moment donné une idée sur quelque chose, à partir du moment où on passe à l'acte, l'acte va prendre une forme qui va nous échapper, tant mieux si elle échappe, mais qu'est-ce qu'une œuvre d'art, DUCHAMP racontait comme ça, dans des conversations qu'il avait avec Charbonier à France Culture, "imaginons que l'on enterre une brosse à dent et une machine à écrire, dans deux siècles on redécouvre une valise avec une brosse à dent et une machine à écrire," il disait" voilà s'il n'y a plus que ça, ça sera une oeuvre d'art". Voilà c'est tout, c'est très...
C. G : Sur la notion de malentendu il y a aussi le fait justement de la manière dont est reçu le spectacle, on voit bien, justement, qu'il y a autant de manières de le recevoir que de spectateurs et certainement à la fois surprenant pour vous et quelque fois déconcertant quand même.
E. V : Déconcertant, non, je pense que c'est très bien qu'il y ait plein perceptions du spectacle, le jour de la première représentation, par exemple, qui était un peu difficile, on a commencé avec 20 minutes de retard le spectacle, ensuite la climatisation ne marchait pas, les acteurs n'ont pas eu de Générale c'était la première fois qu'ils étaient confrontés au public donc ils ont été jetés dans la fosse au lions...
C. G : Et rien que la presse !...
E. V : ...Et rien que la presse ! C'est-à-dire bon, c'était quand même la première représentation, la plus ratée que j'ai jamais faite depuis que je fais de la mise en scène bon, c'est comme ça, c'est Avignon, il n'y a pas suffisamment de temps pour faire les choses, il faudrait anticiper sur tout bon, OK. Voilà il y a un spectateur à la fin qui a hurlé "c'est nul c'est pas du théâtre etc.." et un autre a dit "et bien voilà la question reste ouverte" et ils se sont applaudis mutuellement etc., on était dans le procès, quelque part ça avait servi à quelque chose de faire ça, c'est-à-dire que ça avait activé un peu le problème et moi ce que j'aime bien, c'est la polémique, c'est intéressant qu'il y ait de la polémique, on est quand même dans un monde qui est extrêmement consensuel c'est-à-dire qu'on se réfugie derrière des valeurs qui sont très sûres dans l'art comme dans le reste, je trouve en ce moment...
...Pour un peintre c'est pas pareil, un sculpteur c'est pas pareil, BRANCUSI est mort mais son oeuvre reste, un homme de théâtre, un metteur en scène qui n'est pas vu par les gens c'est un metteur en scène qui n'existe pas, c'est aussi clair que ça, parce que nous, on fait du spectacle vivant c'est-à-dire que notre action sur la mémoire des gens est assez à court terme par rapport à un autre artiste qui peut laisser un objet, une trace, nous la trace on la laisse dans la mémoire, alors c'est pour ça, pour répondre à Jean-François Coignard, que je peux dire que , je peux me revendiquer de JOUVET même si ne l'ai pas connu ça n'a rien à voir avec ça, parce que je peux me revendiquer aussi d'Euripide par exemple, d'Aristote parce que je les lu, ça s'arrête là j'ai en moi toutes les bibliothèques du monde ...
(changement de face de cassette !)
...c'est avec ça que je fait, et je me reconnais dans certaines choses, par exemple moi quand j'ai lu ce procès BRANCUSI et quand j'ai eu l'idée de le mettre en scène j'ai pensé aux OISEAUX d'Aristophane c'est-à-dire il y a des oiseaux qui viennent après un procès humain et qui essaient de débattre d'une question impossible, une question infinie, mais ils ne peuvent pas le faire sérieusement puisqu'ils savent que c'est vain, ils le savent très bien les oiseaux que c'est vain, il n'y a que les hommes pour avoir la vanité de vouloir répondre à la question de qu'est ce qu'une œuvre d'art ! voilà donc c'était ça qui m'intéressait.
Une intervenante : Je voudrait savoir pourquoi vous utiliser la forme théâtrale plutôt que la peinture ou une autre forme d'art, pourquoi spécifiquement le théâtre pour exprimer ce que vous avez envie d'exprimer ?
E. V : Mais parce que je crois que c'est un rapport en trois dimensions... ça à une forme d'apparence, non... Je pense que c'est parce qu'il y a une relation à l'humain, voilà, c'est-à-dire que moi j'ai besoin de travailler avec des êtres humains, j'ai besoin de confronter des idées avec des acteurs, de voir le travail que ça fait dans les corps, de travailler avec un scénographe, avec un éclairagiste, avec quelqu'un..., j'ai besoin de travailler avec des gens, ma vie c'est ça, c'est de travailler avec des gens et voilà, j'aurai pu , non j'aurai pas pu, j'ai essayé, parce que j'ai commencé par la peinture et la sculpture, mais c'est une activité qui pour moi était trop solitaire, j'avais besoin de me confronter aussi à l'espace, à la réalité, je ne sais pas comment dire, d'une façon plus concrète, et puis il y a quelque chose dans le théâtre qui est magnifique c'est que c'est infini c'est- à-dire une représentation qui est bonne un jour peut être mauvaise le lendemain, pour moi, parce que j'essaie de la rendre fragile, le plus possible, parce qu'elle tient sur quelque chose qui est lié à la vie-même, c'est ça qui m'intéresse dans le théâtre, toucher quelque chose qui soit de l'ordre de la grâce quoi, c'est-à-dire essayer de faire ce qu'a fait Michel Ange ou ce qu'a fait BRANCUSI en sculpture, c'est-à-dire si l'on regarde par exemple la Piéta, qu'a fait Michel Ange à Saint Pierre de Rome, à la Basilique, on pleure il y a un type une jour qui a voulu casser la statue, pourquoi il a voulu la casser, parce qu'elle était trop belle, c'est parce qu'il y avait quelque chose qui l'insuportait profondément,... qu'il y avait une vérité dans cette statue, bon voilà j'essaie de travailler là-dessus, c'est totalement dingue de travailler là-dessus, parce que je pourrais plutôt dire voilà ce qui est important c'est de dire qu'il y a du chômage, etc.; Il faut faire des analyses sociologiques du monde, des analyses quoi c'est-à-dire , là, ça ne va pas et je sais pourquoi ça ne va pas, moi ce qui m'intéresse c'est plutôt la joie, la grâce, des choses comme ça quoi et je les trouve peut être plus dans le théâtre, mais parfois, pas toujours. Et puis il y a tout dans le théâtre pour moi il y a tout c'est un ensemble, c'est un art ou il y a le son, il y a la musique, il y a l'écriture, la littérature, il y a les Arts Plastiques, voilà j'ai l'impression de ... c'est complet quoi... !
Un Jeune Metteur en scène : Bonjour, moi je voulais vous dire que je suis tout tout jeune metteur en scène, j'espère bien le devenir, donc je me pose plein de petites questions, et je n'ai pas vu Le Procès parce que, hélas, ça n'est pas encore dans mes moyens, par contre j'avais réussi à voir L'ILLUSION COMIQUE et je voulais vous dire que ça m'avait fait énormément de bien de voir ce spectacle parce que je trouvais que vous aviez trouvé, justement, par rapport à tout ce que vous disiez, le moyen de médiation qu'il fallait, à la fois la chose qui était très très jolie, qui tournait très très bien, qui était belle pour l'oeil, qui était agréable qui n'avait pas de violence, alors justement je trouve qu'on en a trop souvent parce qu'on pense que, lorque l'on veut dire quelque chose, qu'on est obligé de gueuler mais finalement, non, et ça avait beaucoup de souffle, beaucoup de vie, la seule petite chose qui m'a embêtée dans ce que vous venez de dire c'est, qu'apparemment vous faites du théâtre pour le théâtre et pour vous interroger sur le théâtre...
E.V : Non non, ce n'est pas ça que j'ai dit, "je n'ai pas (lit ça" comme ils disent dans le procès ! ... non ce n'est pas ce que j'ai voulu dire en tout cas, c'est les mots, un problème avec les mots, la question du théâtre, de la forme, ... la question de la peinture n'est pas de représenter des anémones ou je ne sais pas ... des chiens etc., la question de la peinture c'est la peinture, vous voyez ce que je veux dire, donc ce qui est intéressant c'est..., quand il y a des grandes mises en scènes c'est quand on a travaillé la question du théâtre dans la mise en scène, vous voyez, mais ce n'est pas une question vaine, parce que moi ce qui me plaît dans ce que vous dîtes c'est que, justement, la forme proposée est une forme ouverte, voilà. Bon par exemple, ça, voilà ce que j'essaie de faire c'est de placer le spectateur que ce soit dans le PROCÈS BRANCUSI, dans LA PLUIE D'ETÉ, dans L'ILLUSION COMIQUE en position unique, c'est-à-dire que sa position est unique dans la salle c'est-à-dire qu'il existe à part entière et il a la possibilité, il intervient, je dirais directement sur le spectacle , bon ben ça c'est une recherche qui est présente dans mon travail depuis le début...
Le jeune metteur en scène ...: Et vous lui placez plein de petites choses que l'on peut être persuadé que son voisin ne va pas le vivre de la même manière.
E.V : Voilà, exactement ce qui m'intéresse c'est l'unicité de chacun, la pensée de chacun , avant ce n'était pas comme ça par exemple avant, avec la perspective à l'Italienne etc., on faisait des décors en trompe-l'œil, on obéissait à un point de vue unique c'est-à-dire qu'on obligeait le spectateur à regarder un point de vue et un seul, une seule lecture, un seul point de vue, alors moi je prends toujours des oeuvres qui sont des œuvres poétiques dans le sens où elles sont ouvertes dans le poétique, il y a tout, il y a le métaphysique, la philosophie, la sociologie, il y a tout, vous voyez ce que je veux dire, et puis après je m'arrange pour mettre les spectateurs dans cette position d'ouverture, (le choisir, ils font ce qu'ils veulent, ils se racontent leur propre histoire et moi ce qui me plaît comme réaction, c'est par exemple... je me rappelle le directeur du Conservatoire quand il avait vu LA PLUIE D'ÉTÉ, il m'a dit un truc qui m'a sidéré complétement, il m'a dit "je me suis rappelé d'un moment d'enfance particulier que j'avais totalement oublié, enfin quelque chose qui était au fin fond de ma mémoire, et tout d'un coup il y a quelque chose qui est arrivé comme ça de très très loin",... alors je me dis, alors là chapeau ! c'est mieux que la psychanalyse le théâtre !
Le J. MES : Mais il y a quelque chose qui m'enquiquine encore dans ce que vous dîtes, je suis tout-à- fait d'accord quand vous expliquez cette histoire de recherche sur la forme dans le théâtre comme dans la peinture, mais la peinture je pense qu'on en reste à essayer, si on y arrive, à la faire avancer, à creuser plus loin à trouver tout ce qu'elle peut donner, mais il me semble que dans le théâtre il y a une autre dimension, parce que justement c'est un spectacle vivant, parce que justement ça se passe ce soir là et pas dix ans avant et pas dix ans après, il me semble que c'est très important ça dans le théâtre, c'est une autre dimension et donc il y a quelque chose à dire en plus, il y à la fois votre recherche à vous et à la fois ce que je veux dire là, maintenant...
E.V : Ben oui... mais c'est la même chose, c'est-à-dire que la recherche elle n'est pas..., mais bon il faudrait en discuter beaucoup, ça nie paraît un peu court pour discuter de tout ça, mais c'est-à-dire qu'on met tout en place pour que ça puisse advenir, c'est-à-dire ce moment présent, cette grâce dont je parlais toute à l'heure, c'est-à-dire que cette vie intense, ce moment partagé avec les spectateurs et les acteurs, bon, on met tout en place pour que ça puisse advenir, mais chaque jour est différent c'est-à-dire chaque jour est différent, on y peut rien, il y a des jours où, moi, je suis accablé par le ciel, je suis accablé par le temps qu'il fait et il y a des jours où ça va, c'est beaucoup plus facile de respirer, mais je ne suis pas tout seul, je m'apperçois que tout le monde est comme moi, vous voyez ce que je veux dire, on est pas tout seul au monde, donc il y a desjours où il y a des acteurs qui vont plus facilement aller vers cette légèreté je dirais, ce plaisir, il y des jours ils ne pourront pas, il y a des jours où les spectateurs ne les aideront pas, il y a des jours où les spectateurs les aideront tuais on ne peut rien y faire c'est comme ça, voilà. Mais évidemment mon soucis c'est le présent du théâtre, c'est le moment présent c'est pas la forme pour la forme, je m'en fous, la mise en scène je m'en fous, non mais vraiment, la mise en scène ça ne m'intéresse pas d'une certaine façon, parce que faire des images je sais faire, depuis longtemps, et pour répondre à la dame, c'est peut être pour ça que j'ai quitté les Arts Plastique parce que les images ça ne m'intéresse pas, ce qui m'intéresse c'est le moment présent avec les spectateurs et les acteurs, alors évidemment quand fait de la mise en scène on fait des images, bon, des images sont des cadres pour ne pas déborder et faire n'importe quoi, mais dans LE PROCÈS BRANCUSI il y a des petits cadres mais il y a énormément de moments d'improvisation c'est- à-dire que les comédiens changent tous les jours, moi ce qui m'intéresse c'est de mettre en place ce processus de création perpétuel, mais ça demanderait aussi d'avoir une troupe, ça demanderait aussi de travailler avec un certain nombre d'acteurs, que je commence à rencontrer, et qui ont la même façon de penser que moi, on se rencontre dans le travail, et il faut travailler longtemps, longtemps pour arriver à ça, et être libre, mais bon voilà on a encore du chemin à faire.
Une femme : Juste une phrase ce qui m'a le plus plût dans votre spectacle LA PLUIE D'ÉTÉ c'est justement la direction d'acteurs...
E.V : Oui parce que je pense que c'est ce ça qui m'intéresse le plus, les rapports au texte et les rapports aux acteurs...
La même femme : Les images étaient très belles et toute la pièce était très belle, pleine d'émotions mais j'ai énormément apprécié la direction d'acteurs, certainement par comparaison, contraste, si vous voulez, avec d'autres choses que j'avais vu. Et c'est cela qui m'a saisi encore plus.
E.V : Et bien je vous remercie, non mais c'était merveilleux la rencontre avec Duras, enfin avec l'écriture de Duras,...
J. MES : Ca va peut être paraître un peu "cul cul la praline", mais je trouves que ce que vous dîtes fait beaucoup de bien et ça me fait plaisir d'entendre ça, parce que là ou j'en suis, de mon point de vue, il y a plein de choses qui sonnent faux, et qui ne partent pas dans le bon sens dans le théâtre et cette histoire de fragilité, enfin, oui, ça oui, on approche quelque chose qui est vraiment humain, qui est agréable, ça me fait plaisir.
E.V : C'est pour ça que j'ai fait de la mise en scène, parce qu'avant j'étais acteur, et à un moment je n'ai plus supporté ce que je voyais, j'étais comme vous il y a cinq ans, mais j'ai plus supporté, c'est-à-dire que tout d'un coup je me suis dis, soit t'arrêtes tout, tu fait autre chose, tu redeviens prof de dessin et tu arrêtes le théâtre, où tu t'engages et alors, c'était à un Festival d'Avignon, j'ai pris la décision, c'était en 1990 ; J'ai décidé de m'engager et de dire, moi je veux faire un théâtre du sentiment, un théâtre de la fragilité, un théâtre de l'humain, voilà, changer les choses, je veux faire ça, voilà ce que je veux faire, alors six mois après j'ai fondé ma compagnie qui s'appelait la compagnie Suzanne M., qui s'appelle toujours la compagnie SUZANNE M., et avec trente acteurs, on s'est retrouvé dans une usine désaffectée à Issy-les-moulineaux, et on a répété pendant la guerre du golf, pendant deux mois dans cette usine, dans le froid en plein hiver et on a fait LA MAISON D'OS de Roland Dubillard où la question était celle (le l'existence, et on l'a fait, mais avec une joie, une liberté, un esprit incroyable, ça reste absolument un souvenir extraordinaire, et c'est fondateur dans mon travail ça. Et maintenant je dirige le Centre Dramatique De Bretagne à Lorient et je fais la même chose dans une stucture, enfin j'essaie, je continue, tant que j'ai du désir je ferais ça, ce qui ne veut pas dire que tout sera réussi, que tout sera à la hauteur de certains spectacles comme LA PLUIE D'ÉTÉ ou peut être LA MAISON D'OS mais en tout cas j'essaie.
Une autre femme : Juste une toute petite et modeste intervention, cela me fait penser au petit livre de Georges "le théâtre ou l'instant habité" et je voulais recommander cette lecture à notre jeune metteur en scène mais il le coirnait peut-être.
E.V : Je dois le connaître sûrement...
C.G : Bien, écoutez, merci d'être là, merci à ÉRIC VIGNER et j'espère à bientôt
E.V : merci
Applaudissements... !