Le Télégramme · 29 septembre 2002 · SAVANNAH BAY (Comédie-Française)

Le Télégramme · 29 septembre 2002 · SAVANNAH BAY (Comédie-Française)
La Comédie-Française via Lorient, Éric Vigner - Repères
Presse régionale
Avant-papier
Béatrice Mingam
29 Sep 2002
Le Télégramme
Langue: Français
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Le Télégramme

29 septembre 2002 · Béatrice Mingam

ÉRIC VIGNER : La Comédie-Française via Lorient

Souviens-toi MARGUERITE, il pleuvait sur Brest ce jour-là. Une Pluie d'été. Il est 20h59. Ce 8 octobre 1993, l'automne a repris ses droits dans le quartier village de Lambézellec. MARGUERITE DURAS est descendue de Paris en voiture. Au Stella, un vieux cinéma désaffecté des années 50, ÉRIC VIGNER met en scène l'une de ses oeuvres.

ÉRIC et celle qui deviendra bientôt sa muse se sont rencontrés il y a quelques mois, mais semblent se connaître depuis toujours. Elle a écrit la Pluie d'Eté, a toujours jugé avec sévérité le jeu, au théâtre, de ses textes, faits pour être lus. Elle s'insurge contre les metteurs en scènes qui interprètent ses oeuvres en imposant leur propre vision, réécrit parfois, au fil des répétitions, des scènes entières.

ÉRIC s'est lancé dans cet exercice périlleux pour des élèves comédiens du Conservatoire. Ce défi que lui a lancé son ancien prof de théâtre, Marcel Bozonnet, aujourd'hui administrateur de la Comédie-Française, ÉRIC l'a relevé avec brio. Son travail fait le tour de Paris.

L'amie MARGUERITE

MARGUERITE voit la pièce. Elle aime. Jusqu'à devenir une amie intime du metteur en scène et le rejoindre à Brest lorsqu'il remonte La pluie d'été, une requête de Jacques Blanc, à la tête du Quartz. À MARGUERITE DURAS qui a tant écrit sur l'amour, ÉRIC VIGNER fera partager le sien pour sa Bretagne natale : Brest, le port du Conquet, la presqu'île de Kermorvan, la pointe Saint-Mathieu, battue par les vents... En cet instant, jamais MARGUERITE n'aura été plus proche de Suzanne M., la grand-mère d'ÉRIC. Sa passion pour le théâtre, il la doit à cette aïeule, dépositaire des traditions et histoires ancestrales d'une famille issue de la paysannerie bretonne entre Janzé et Combourg en Ille-et-Vilaine.

Les traits de l'aïeule et la terre des ancêtres

"Ma grand-mère, se souvient-il, me faisait faire le tour du cimetière et me contait l'histoire des morts. Avec le théâtre, j'ai eu envie de les faire revivre". Et ils ont vécu. Dans La Maison d'Os, une pièce sur l'abandon, cruellement ressenti lorsqu'un être cher vous quitte pour l'au-delà. La pièce de RoLand Dubillard exprime la douleur d'ÉRIC lorsque Suzanne passa de pas à trépas.

La pièce est jouée par 30 jeunes comédiens et montée par souscription sur trois niveaux dans une usine désaffectée d'Issy-ies-Moulineaux. Elle remporte un tel succès qu'en 1991, les décors déménagent sous l'Arche de la Défense pour le Festival d'Automne. ÉRIC VIGNER vient de poser le pied dans sa carrière médiatique, mais regrettera toujours de la devoir à Paris. Il rêve de travailler sur la terre de ses ancêtres.

Le directeur de théâtre

Plus que les droits d'Hiroshima mon Amour, MARGUERITE DURAS lui offrira la Bretagne sur un tréteau, à lui, l'artiste exilé, persuadé que la force créatrice est en province. Alors que La pluie d'été tourne pendant deux ans en France et en Russie, le ministère de la Culture propose à ÉRIC de prendre la direction d'un centre dramatique. C'était en 1994. Toulouse, Grenoble ou trois autres villes, dont Lorient. Tout l'amène dans cette cité de la Compagnie des Indes. Ses origines, le Théâtre de l'Embarcadère qu'il a créé et qui symbolise ses premier, pas de scène, la ville avec son nom en forme de clin d'oeil à l'Orient de sa chère MARGUERITE DURAS. Ce théâtre sera son chantier. Tout à inventer, tout à créer, un nouveau style à imposer. Un théâtre tourné vers l'avenir dans une ville qui se cherche un avenir.

À la Comédie-Française

Au CDDB de Lorient, il fonde un lieu de travail unique en son genre, un pôle d'innovations à l'écoute d'une nouvelle génération de créateurs. En 1995 et 1999, il marque deux buts d'essai réussis à la Comédie Française avec Bajazet de Racine puis L'Ecole des Femmes de Molière, des pièces classiques dans une mise en scène qui l'est moins.

Le plasticien modèle des décors contemporains. Le directeur invite des artistes chez lui en longue résidence et donne un écho à leur travail. Le metteur en scène expérimente avec le Rhinocéros de Ionesco, le Décaméron qui sort des murs du théâtre pour conquérir Lorient au gré de ses sites historiques, La bête dANS la jungle qui vient d'ouvrir le 24 septembre la saison à Montréal. ÉRIC aime les ports. Il poursuit son travail avec le Quartz de Brest, tisse des liens avec le Lieu Unique à Nantes. Entre temps, le CDDB-Théâtre de Lorient devient centre dramatique national, le seul en ville moyenne, et le contrat d'ÉRIC VIGNER est reconduit pour trois ans. Une consécration.

Un pari risqué

Mais, six ans après sa mort, MARGUERITE DURAS hante encore et toujours ses pensées. Savannah Bay sonne comme un aveu en forme d'hommage à la femme de sa vie de théâtre. Grâce à lui, elle est entrée, il y a tout juste quelques jours, au répertoire très classique de la Comédie-Française. Savannah Bay y a même ouvert la saison.

Le pari était pourtant risqué. Le décor, très original, tranche avec une salle Richelieu pleine de fioritures à l'Italienne et son auteur fétiche n'a rien à voir avec Molière, en mémoire duquel le temple de la Comédie fut élevé sous Louis XIV. La pièce a séduit et, comble du crime de lèse-majesté, elle sera jouée à Lorient, du 16 au 23 octobre, le temps d'une pause à la comédie. Du jamais vu.

Amoureux de DURAS et de ses racines, ÉRIC VIGNER l'aura été jusqu'au bout.