Le Nouvel Observateur · 19 septembre 2002 · SAVANNAH BAY (Comédie-Française)

Le Nouvel Observateur · 19 septembre 2002 · SAVANNAH BAY (Comédie-Française)
Duras entre au répertoire et elle est jouée par deux immenses comédiennes
Presse nationale
Critique
Odile Quirot
19 Sep 2002
Le Nouvel Observateur
Langue: Français
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Le Nouvel Observateur

19 septembre 2002 · Odile Quirot

Marguerite et les deux Catherine

Marguerite DURAS avait écrit Savannah Bay pour Madeleine Renaud, et l'avait mis en scene. Elle avait d'ailleurs nommé son personnage Madeleine. Elle voulait que ce rôle soit tenu par une actrice qui aurait atteint "la splendeur de l'age" , Elle aurait pu écrire ces mots-là pour Catherine Samie, doyenne de la Comédie-Française, qui incarne aujourd'hui Madeleine, et c'est l'événement le plus tendre de cette rentrée théâtrale. Il y a là une secrete passation de témoin. Catherine Hiegel est la jeune femme; celle qui questionne Madeleine ; la pousse à reconstituer le puzzle de ses souvenirs. Le théâtre, la vie, l'amour, la mort, indissociablement mêlés : Savannah Bay est une histoire faite pour ces deux grandes comédiennes au tempérament opposé, Samie est lunaire ; Hiegel solaire.

DURAS disait aimer en Madeleine Renaud et Bulle Ogier leur “sauvagerie", un mot étonnant. Ce qu'elle nommait ainsi ; c'était sans doute leur manière d'être là, comme au sortir d'un rêve d'enfance ininterrompu, d'une escapade malicieuse. DURAS rêvait d'un theatre, "lu, pas joué, d' un theatre presque de récitant. Pour se faire comprendre, elle évoqualt les récitatifs de BACH, "ces champs sonores créés comme chaque fois pour la première fois".

Il fallait que la representation soit comme un premier matin du monde, la vibration d'une émotion oubliée. On peut compter sui Mlles Samie et Hiegel, qui ne nous ont jamais déçus.
Elles sont mises en scène par Éric Vigner; dont DURAS avait tellement aimé sa vision de LA PLUIE D'ÉTÉ qu'il avait portee à la scène en 1993. À Brest, dans un vieux cinéma des annees 1950, il dirigeait de jeunes élèves du Conservatoire qui racontaient et jouaient tout a la lois l'histoire d'Ernesto, l'enfant d'immigrés de \/itry qui devine l'écriture dans un livre brûlé : la Bible et annonce à sa mère "je retournerai pas à l'école parce qu'à l'école on m'apprend des choses que je sais pas". DURAS était venue, et revenue.

Lors de la reprise du spectacle, au Théâtre de la Commune d'Aubervilliers, Marguerite Duras était là, encore encore avec ses pulls à col roulé. Elle ne se lassait pas de l'attrait et du danger du théâre, où l'acteur est dans sa taille véritable. Dans SAVANNAH BAY, elle a écrit cette réplique : "La salle est pleine. On s'empêche de mourir par politesse. La salle attend, on lui doit le spectacle." MOLIÈRE serait d'accord.