La Croix du Midi · 14 octobre 1994 · REVIENS À TOI (ENCORE)

La Croix du Midi · 14 octobre 1994 · REVIENS À TOI (ENCORE)
Une "Poésie" contemporaine ô combien amère et affligeante.
Presse régionale
Critique
Monique Trébosc
14 Oct 1994
La Croix du Midi
Langue: Français
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La Croix du Midi 

14 octobre 1994 · Monique Trébosc

« Reviens à toi (encore) »

Interprété par la compagnie Suzanne M. et mise en scène par Éric Vigner, cette pièce de Gregory Motton est pour le moins originale, peut-être est-ce le fait des origines irlandaises de l'auteur...

Toujours est-il que les comédiens se sont donnés à fond pour interpréter un texte souvent Inaudible (parce que sussuré) mais aussi tout à fait incompréhensible au début.

Le message est passé (celui de la misère qui démolit tout : la vie, l'espoir, la foi en l'humanité) mais à quel prix pour le spectateur plongé dans la sinistrose devant l'errance d'un homme boiteux et désabusé, d'une femme paralysée et désespérée, d'une jeune fille hémorragique et découragée... il faut sans doute une imagination spéciale pour suivre l'auteur dans son dédale de pensées mais je crois que cette pièce trouvera son public, celui qui cherche autre chose qu'un beau texte, qui préfère un état d'âme à de la belle littérature et qui sait trouver son chemin dans l'incohérence.

La mise en scène colle au texte : Lugubre et insolite, allant méme jusqu'à déverser un torrent de boue sur scène, dans lequel se vautrent tour à tour les comédiens voulant sans doute traduire, par la souillure de leurs habits, l'image de la vie telle que l'auteur la conçoit. La vulgarité des vêtements de F.P., La fille de la Pérégrination », est le reflet d'une société dégradée par la misère et le manque de relations humaines.

Éric Vigner nous peint un univers "intérieur" mais, vu de "l'extérieur" ce monde de "laissés pour compte" désespère le spectateur par la souffrance, des personnages qui jouent des fragments de leur vie, passée, présente et future.

Animé par le désir de créer "un théâtre de recherche", ce jeune metteur en scène prendra prochainement la direction du centre dramatique de Lorient. Il a su exploiter au mieux la personnalité théâtrale de Marilù Marini qui plonge la "Femme sombre" dans la tragédie et la fragilité d'Alice Varenne, liane furieusement balancée par l'existence. Bruno Raffaelli est un comédien de talent qui a travaillé avec les plus grands noms du théâtre, du cinéma et de la télévision. Il occupe la scène de sa forte personnalité et donne une réalité à cet "Abe" mal armé pour affronter les déboires.

Ajoutant à l'étrange, Patrick Molard accompagne les acteurs avec sa cornemuse écossaise. Il est considéré comme l'un des meilleurs spécialistes de cet instrument en Europe et l'un des rares en France a pratiquer la musique de la cornemuse écossaise "Pibroch" qu'il a reçue de deux sonneurs prestigieux musiciens personnels de la reine Elisaheth au château de Balmoral. Les bretons vont adorer !...

Cette pièce hors du commun, va aborder maintenant une série de tournées en France qui débutera au théâtre National de l'Odéon à Paris. Souhaitons à la Compagnie Suzanne M. une bonne réussite, elle la mérite car les acteurs croient en leur rôle. Ils sont ces "héros modernes" abandonnées de Dieu et des hommes parmi ces quartorze tableaux qui rappellent la passion du Christ pendant son chemin de croix. "Dès la première station, Jésus est condamné à mort". "Le futur qui se trouvait devant moi est déjà dans le passé sans jamais avoir été dans le présent dit Gregory MotTon. Il cite un passage de l'Evangile selon St Luc : "Ne pleurez pas sur moi, pleurez plutôt sur vous-même"..... Oui c'est vrai, on a envie de pleurer en sortant après cette "Poésie" contemporaine ô combien amère et affligeante.