Europe · Janvier 1992 · LA MAISON D'OS

Europe · Janvier 1992 · LA MAISON D'OS
Ce spectacle, d'un intérêt exceptionnel, a tout de suite été porté par le bouche-à-oreille.
Revue spécialisée
Raymonde Temkine
Jan 1992
Europe
Langue: Français
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Europe, la revue du théâtre

janvier/février 1992 · Raymonde Temkine

ENTRÉE EN FORCE DE LA JEUNE GÉNÉRATION

éric Vigner, plasticien et comédien, a monté une pièce de Roland Dubillard, la plus belle, la Maison d'os, jamais rejouée depuis sa création en 1962 par Arlette Reinerg. Il a formé sa Compagnie Suzanne M (mystère sur le pourquoi de ce nom) en septembre 1990. Elle ne comprend pas forcément les vingt et un comédiens de ce spectacle dont certains sortent comme lui du Conservatoire, car on en voit jouant également dans d'autres jeunes troupes. Deux coups de foudre à l'origine : la découverte d'une pièce, la découverte d'un lieu.

Dès 1989, Vigner avait choisi la Maison d'os pour un travail en atelier avec des stagiaires de la "Maison du geste et de l'image". Le lieu, trouvé à lssy-les-Moulineaux, est une manufacture de matelas promise à la démolition, toute en profondeur et délabrée. Vigner a voulu faire son spectacle tout de suite, sans passer par le dépôt du dossier pour la demande d'une subvention. Il l'a monté avec les moyens du bord et l'apport de souscripteurs, comme "un défi et avec une grosse équipe pour prouver qu'on peut encore faire du théâtre malgré l'institution". Les valets de Monsieur font la noce pendant qu'il agonise. Les scènes qui les concernent sont regroupées et jouées au premier étage de la manufacture que de successifs levers de rideau approfondissent. Après l'entracte, spectacle et spectateurs se transportent au deuxième étage où le maître vit ses derniers instants, dans l'indifférence et même les outrages de ceux qui devraient le servir. La troupe a assumé avec beaucoup d'énergie la gravité biaisée et l'humour doux-amer de cette méditation sur l'humaine condition. L'homme meurt dans la solitude, son entourage s'agite, occupé de tout autre chose.

Ce spectacle, d'un intérêt exceptionnel, a tout de suite été porté par le bouche-à-oreille : la presse vient, et les décideurs ; le Théâtre du Campagnol le retient pour décembre, le Festival d'Automne plus prompt encore pour novembre.

Ce fut, avec ce label, dans la Grande Arche de la Défense, un lieu très différent, tout à l'horizontale. Au bout de vastes couloirs bétonnés sinistres, on arrivait dans une salle basse aux lourds piliers, avec, aménagé au creux de l'un d'eux, un ascenseur qui servait beaucoup aux va-et-vient incessants. Monsieur était là-haut, qu'on devait descendre, alité, pour qu'il nous joue sa fin de partie. Lieu funèbre, et c'était bien, mais qui n'avait pas la poésie du bâtiment ruiné. Il en est souvent ainsi des transplantations. On a créé sur mesures, ensuite on met à la taille.