Du Geste et de l'idée · Jean Dautremay · BAJAZET

Du Geste et de l'idée · Jean Dautremay · BAJAZET
L'unité du sens passe par l'unité du vers
Commentaire & étude
Jean Dautremay
Jul 1995
Compagnie Suzanne M. Éric Vigner
Langue: Français
Tous droits réservés

Du Geste et de l'idée

Jean Dautremay · Juillet 1995

Il y a l'idée.
L'idée du spectacle qui en soi-même est un geste.
Comme projet, comme forme, comme volonté.
Il y a l'idée du texte.
La volonté non pas de réduire le texte à une forme, mais de le traiter comme volonté de mettre le texte en forme. (De condamner le texte à sa propre forme).
Ces idées-là ne sont pas en paradigme, inatteignables, elles sont un projet.
Laissant vivre.
Mais cette vie-là réclame une contrainte, et comme une règle de vie.
Je veux dire la vie du texte.
Parce que cette vie-là se construit dans une rigueur sans laquelle le texte ne peut pas vivre.
Et si l'on écoute il y aurait une autre idée. Ce serait une idée sonore.
Elle est dans la parole et dans le soutien intensif de chaque vers (non pas de chaque mot).
Où se trouve l'unité de sens ?
En tout cas l'unité du sens passe par l'unité du vers.
Et comme le geste ne doit pas illustrer l'idée, il faut qu'il anticipe ou lui succède.
Que voit-on ?
Quelqu'un parle et raconte une histoire.
Il ne bouge pas mais il raconte un parcours.
Ce parcours est préliminaire, initiatique.
Il introduit (c'est la parole qui conte, c'est l'idée qui bouge). Cette introduction nous conduit dans l'histoire d'une pièce, comme nous l'accepterions d'un opéra. Une ouverture, une aventure.

Ici, c'est une scène d'exposition, dans tous les sens du terme, où les acteurs exposent et s'exposent, ils disent ce qui s'est passé, ce qu'on va voir, ce qui menace, et que quand çà commence, tout est fini.
Le reste n'est pas que littérature, parce que c'est Racine.

Musicale dit-on ?

Quand il y a rapport de nécessité entre la forme et la pensée,
quand l'idée atteint la rigueur de la forme,
quand la forme traduit l'idée,
et quand l'acteur est là, Hic et Nunc

Il y a l'idée et la volonté.
La volonté déterminée mais inquiète d'une esthétique, c'est-à-dire une pensée approfondie, mais dubitative, et certaine, mais questionnant sa propre question, qui projette dans le geste et la question du geste, et dans le geste assumé, le parcours, le trajet, la trajectoire du projet et de la pensée, où la parole se perd dans une façon passionnée, passionnante et inquiète de casser les certitudes.

C'est l'histoire simultanée d'une volonté et d'une question.
La réponse n'est donnée que dans le respect commun d'un projet.
Et dans l'hésitation d'une interprétation, d'arriver à dire ce qu'au fond, nous voulions dire, de l'irréductible et du nécessaire, de la volonté et de l'échec, de l'inscription de toute volonté politique au conditionnel, et du théâtre comme seul moyen de dire encore que les questions se posent,

que le dessous des choses est rarement connu,

que ceux qui disent la vérité ont peu de chance de vivre longtemps,
ceux qui mentent non plus.

Et que personne ne saura jamais à quoi tout cela rime.