Entretien avec Rémi De Vos · DÉBRAYAGE

Entretien avec Rémi De Vos · DÉBRAYAGE
Entretien avec l'auteur.
Note d’intention & entretien
14 Jun 2007
CDDB-Théâtre de Lorient
Langue: Français
Tous droits réservés

ENTRETIEN AVEC RÉMI DE VOS

Depuis votre rencontre avec ÉRIC VIGNER en 1996 vous êtes au cœur du CDDB; pouvez-vous nous dire quelle est votre place en tant qu’auteur associé?

Je suis auteur associé depuis 2005. Cela signifie d’abord écrire. Depuis deux ans, j’organise un rendez-vous par trimestre au CDDB avec des auteurs que j’aime. Ces écrivains forment LE CLUB DES AUTEURS. Il est constitué de FABRICE MELQUIOT, CHRISTOPHE PELLET, MARION AUBERT, NATHALIE FILLON, DAVID LESCOT et moi-même. Lors de ces rendez-vous, nous faisons des lectures puis nous discutons avec le public. C’est un cadre différent à chaque fois, une expérience nouvelle... La dernière fois, nous sommes allés découvrir l’île de Groix et ses habitants. Nous avons ensuite créé un bal littéraire au CDDB avec les textes écrits là-bas. Et cela va continuer la saison prochaine lors d’autres week-end de résidence en Pays de Lorient.

Quel est l’historique de cette relation avec le CDDB-Théâtre de Lorient, Centre Dramatique National et ÉRIC VIGNER?

Il y a 11 ans, j’ai envoyé le texte de DÉBRAYAGE à ÉRIC VIGNER. Il a aimé le texte et m’a proposé de faire la mise en scène. À partir de ce moment, nous sommes restés en contact. Aujourd’hui, il s’agit d’un compagnonnage, d’une amitié. Être auteur associé veut dire que l’on m’encourage à considérer le CDDB comme un lieu qui m’est ouvert, où je peux créer. C’est une chance car être auteur dans le théâtre public est une chose difficile. C’est formidable de pouvoir être soutenu à ce point.

Pouvez-vous nous dire dans quelle mesure vous travaillez ensemble ? Avez-vous été présent pendant la création de DÉBRAYAGE, avez-vous assisté aux répétitions?

Pour moi, écrire et mettre en scène sont deux choses différentes. Je n’ai pas de problème pour abandonner complètement mon texte à un metteur en scène, il peut faire ce qu’il veut avec. Je suis très ouvert avec ça, particulièrement avec ÉRIC. En fait, nous avons peu parlé, je lui fais totalement confiance. Je lui ai proposé de revoir des détails, de faire des modifications s’il en avait besoin, mais je n’ai pas assisté aux répétitions. Il peut m’arriver de suivre un peu plus le travail. J’adore que l’on me montre des choses que je n’avais pas vues. Ce qui compte après, c’est le talent.

ÉRIC VIGNER vous considère comme un auteur comique, qu’en pensez-vous?

Il y a toujours une part de comique dans ce que j’écris, suffisamment forte pour qu’elle soit remarquée en tant que telle. J’aime faire rire, j’aime que le public rie. Il y a une dimension drolatique dans mon écriture, mais il y a toujours un fond tragique dans ce que j’écris. Il ne s’agit pas de faire rire pour rire. C’est une question de caractère, de tempérament. Pour moi, la vie est tragique et drôle. BECKETT dit : "Rien n’est plus drôle que le malheur. C’est la chose la plus comique au monde". Je suis tout à fait d’accord avec ça.

Quelle est la genèse de DÉBRAYAGE?

Cette pièce correspond en fait aux premiers mots que j’ai écrits. J’ai appris à écrire avec cette pièce, je n’avais jamais écrit avant. Si cette pièce est en 13 tableaux composés de mini-pièces, c’est parce que je ne pouvais pas écrire une longue pièce. Aujourd’hui, je me rends compte que je m’intéressais déjà à l’écriture. Il y a 30 personnages ; chacun d’entre eux a une vision du monde différente qui s’exprime avec un langage propre. C’est la seule pièce que j’ai écrite sans penser qu’elle serait jouée.

Y’a-t-il un lien avec le contexte politique, social et économique de l’époque (1995)?

Mon désir à l’époque était d’écrire sur des situations que l’on connaît tous dans le monde du travail. À ce moment-là, j’enchaînais les boulots. J’ai écrit avec ma réalité de l’époque, et c’est vrai qu’il y avait une actualité très forte, les grandes grèves de 1995, qui trouve encore un écho aujourd’hui. Je ne suis pas un écrivain qui veut écrire sur la société. C’est simplement une réalité que je vivais à l’époque. Il s’agissait d’écrire des petites situations plus ou moins différentes d’embauche. Même si c’est dur, la situation fait rire.

Comment avez-vous choisi le titre?

Le débrayage est le moment où les salariés cessent volontairement le travail pendant une courte durée. Au départ, la pièce devait s’appeler QUARTIERS LIBRES. Mais au même moment, en mars 96, GUY BEDOS présentait un spectacle avec des jeunes de banlieue à Lorient, qui s’appelait aussi QUARTIERS LIBRES. Et BEDOS / DE VOS, la confusion était évidente.

Pouvez-vous nous parler de votre manière d’écrire ? Vos textes portent une énergie particulière ; est-ce un procédé d’écriture que vous travaillez particulièrement ou est-ce un rythme, une musicalité naturelle en vous?

Bien sûr que je travaille le rythme et l’écriture de mes textes. Mais en fait, ça va assez vite et c’est assez instinctif. Ce n’est pas ce que je cherche outre mesure. Il y a des passages de DÉBRAYAGE que j’ai écrits d’une seule traite. Sinon je suis bon pour les dialogues, c’est quelque chose que je comprends bien.

Quels auteurs vous inspirent?

SAMUEL BECKETT, THOMAS BERNHARDT et FRANZ KAFKA, de façon très générale. Pour ce texte, je me suis servi en fait d’une seule phrase des correspondances d’ORWELL à HUXLEY: "Je crois que ceux qui dirigent le monde découvriront que le conditionnement du berceau et la narco-hypnose sont plus efficaces comme instrument de gouvernement que les clubs et les prisons". La narco-hypnose, nous y sommes.

Avez-vous rencontré des auteurs contemporains qui travaillent ces problématiques?

Non. C’est un milieu que les auteurs de théâtre connaissent mal. Mais il y en a sans doute. Je suis loin de les connaître tous. Les personnages sont des hommes et des femmes perdus. Il y a là quelque chose de métaphysique. Et puis je voulais faire rire avec des situations plus ou moins difficiles, rire avec des choses que l’on connaît bien. Pour moi, DÉBRAYAGE est une comédie.