Focus Spleenorama · Marc Lainé · Bertrand Belin

Focus Spleenorama · Marc Lainé · Bertrand Belin
Spleenorama, une comédie musicale fantastique
Note d’intention & entretien
Jean-François Ducrocq
Aoû 2013
Magazine N°6 du Théâtre de Lorient
Langue: Français
Tous droits réservés
Après Just a perfect day (un JOur parfait) présenté l’année dernière au studio, MARC LAINÉ revient avec le chanteur BERTRAND BELIN, pour la création de SPLEENORAMA, une comédie musicale fantastique sur la fin de la jeunesse,
les promesses non tenues et la persistance des idéaux.

REVENANTS Artiste associé au CDDB depuis 2009, MARC LAINÉ a, depuis, toujours été présent sur les scènes de Lorient. Un rêve féroce, créé en résidence à Lorient en 2009, Break your leg!, basé sur l’histoire vraie des deux patineuses américaines Tonya Harding et Nancy Kerrigan en 2010, Just for one day avec l’Amicale des Super Héros du Morbihan, Memories from the missing room avec le groupe Moriarty en 2011 puis Just a perfect day (un jour parfait) présenté au printemps 2013 au Studio...
Après ce cycle de pièces inspirées par la culture populaire américaine, le metteur en scène revient avec une création dont l’action est cette fois ancrée dans un contexte plus familier. Nous sommes quelque part dans la province française. C’est l’histoire d’un retour sur les lieux du passé, un retour précipité, "orchestré" par un mort... Après quinze ans d’absence, Lucas revient dans la ville de province où il a grandi pour assister à l’enterrement de son ami d’enfance, Laurent. Accident? Suicide? Lors de la cérémonie, Lucas retrouve Yannick et Isabelle, d’autres vieilles connaissances qui l’accusent d’être responsable de la mort de Laurent. Il y a quinze ans, les quatre amis formaient un groupe de rock sur le point d’enregistrer son premier album avant que Lucas ne décide de partir sans explication à Paris. Le groupe ne survivra pas à son départ...
SPLEENORAMA, c’est le nom de l’album inachevé du groupe, un album fantôme qui ne verra jamais le jour et qui condense l’histoire d’une promesse non tenue. Car la pièce de MARC LAINÉ est une fable sur la fin de la jeunesse, la fin des illusions, le renoncement. Une pièce qui met en scène les jeux de miroir qui existent entre ceux qui réussissent et ceux qui échouent, ceux qui partent et ceux qui restent. "Les personnages de la pièce ont à peu près mon âge, c’est-à-dire l’âge auquel on dresse malgré soi un premier bilan", explique MARC LAINÉ. "C’est une pièce qui interroge les notions relatives de succès et d’échec, la persistance des idéaux, la persévérance... Ce sont des questions qui deviennent prégnantes lorsqu’on dépasse la trentaine. Chacun d’entre nous projette ses fantasmes sur les autres, chacun s’évalue, se mesure à ses proches et c’est d’autant plus vrai lorsque la distance s’installe. Une rivalité s’établit, sourde, lancinante, obsédante aussi, malgré l’absence et même, dans la pièce, malgré la mort. Et cette rivalité continue d’animer les destins de chacun. Lorsque celui qui est parti est de surcroît le seul qui "réussit", les fantasmes projetés par ses proches se teintent fatalement d’un voile d’amertume. Il y a la rancœur et puis, de l’autre côté, il y a la culpabilité... Lorsque l’enchantement de la jeunesse a disparu, le passé devient une plaie ouverte et le présent est forcément décevant. Il n’y a ni vainqueur ni vaincu. Personne ne sort indemne de ces histoires."

Orchestre fantôme

La nuit qui suit l’enterrement de Laurent, Lucas se réfugie dans la maison abandonnée où Laurent a vécu les dernières années de sa vie en reclus. Un lieu qui servait autrefois de local de répétition au groupe. L’un après l’autre, les membres du groupe, vivants ou morts, vont le rejoindre. L’occasion pour chacun de régler ses comptes avec le passé mais aussi de questionner ses propres choix, ses propres engagements et ses propres compromissions... pour finir par découvrir l’étranger qu’il est devenu à lui-même. Le tableau est sombre: Lucas a sacrifié son talent et son groupe pour une existence sans relief. Yannick et Isabelle forment un couple replié sur lui-même et amer. Laurent se complaisait pour sa part dans une solitude narcissique et dévastatrice avant de mourir... Mais MARC LAINÉ trouve pourtant une porte de sortie à ses personnages : "Ces retrouvailles sont malgré tout l’occasion pour chacun d’affirmer une fidélité à ce qui le fondait quinze ans auparavant et de questionner l’échec apparent de sa vie. Au terme de la nuit, chacun des personnages aura peut-être découvert quelques vérités sur lui-même et sera en tout cas révélé dans toute sa complexité". Fidèle aux principes narratifs de MARC LAINÉ, SPLEENORAMA n’optera en revanche pour aucune résolution psychologique, aucun dénouement, la pièce déraillant en permanence entre la réalité et le fantastique, le présent et le passé—les vivants et les morts se rejoignant pour former un orchestre fantôme qui rejouera la partition d’un album abandonné.

hypernuit

Un album joué dans la pénombre qui aurait tout aussi bien pu s’appeler Hypernuit, du nom de l’avant-dernier opus de BERTRAND BELIN. "J’ai vécu un vrai bouleversement en découvrant cet album, j’ai été impressionné par la puissance, le lyrisme et le sens tragique de BERTRAND BELIN. J’ai immédiatement su que c’était avec lui que je devais travailler à l’élaboration de SPLEENORAMA. Les thèmes qu’il explore dans les chansons de cet album, la force d’évocation et le caractère elliptique de ses textes m’étaient profondément familiers. Il m’a semblé évident aussi que l’exigence poétique de son écriture permettrait d’aborder le genre "comédie musicale" avec à la fois le décalage et une forme de "cérébralité" que je souhaitais. J’ai demandé à Bertrand de me rejoindre sur le projet et il accepté. Dès nos premiers échanges, il a suggéré que ce soit un traitement musical et formel de la langue de son personnage qui prenne en charge la question, fondamentale au théâtre, de la représentation du spectre. En altérant les dialogues de la pièce, en les tronquant ou en les répétant pour les mettre en musique et se les approprier, il leur confère une forme d’étrangeté propre à la parole d’un revenant."

Enfant du pays grandi du côté de Quiberon, BERTRAND BELIN a suivi une partie de sa scolarité à Lorient et est d’ailleurs revenu y travailler en résidence, aux Studios MAPL, pendant les sessions d’enregistrement d’Hypernuit. Il y débutera donc sa carrière au théâtre dans le rôle d’un spectre, la guitare en bandoulière, pour porter les chansons d’un mort dans un décorum de ruines et d’abandon qui ne lui sera pas forcément étranger : "Dans ses albums, Bertrand évoque volontiers des histoires de frères, de pardon, d’apaisement, des récits de départs et de retours au bercail, ses chansons campent dans des lieux de mémoire, des maisons fantômes, désaffectées, des lacs, des étangs. Il y a des motifs en commun bien sûr, des résonances multiples entre nos univers. La scénographie de la pièce tournera elle-même autour d’un cimetière, d’un local abandonné et d’un lac gelé..." Le chanteur et le metteur en scène se sont décidément bien trouvés. Ces deux lecteurs de Tarjei Vesaas partagent le même goût de l’ellipse, le même besoin de s’exprimer par fragments en développant des modes narratifs aux contours flous, à la lisière du songe et de la poésie. En s’associant à BERTRAND BELIN, MARC LAINÉ avait une idée derrière la tête: "Je voulais que la musique traverse peu à peu les personnages, pour finir par les réunir. Ce qui ne serait d’abord qu’un fredonnement, un chant essoufflé, devrait finalement devenir une forme chorale, vibrante et harmonieuse. Si mes personnages échouent à se retrouver avec les mots c’est finalement, au-delà de toute résolution psychologique, par le chant qu’ils y parviendront."

JEAN-FRANÇOIS DUCROCQ