Dernières Nouvelles d'Alsace · 15 novembre 2003 · SAVANNAH BAY (Comédie-Française)

Dernières Nouvelles d'Alsace · 15 novembre 2003 · SAVANNAH BAY (Comédie-Française)
Une profonde et belle mise en abyme donc.
Presse régionale
Avant-papier
Veneranda Paladino
15 Nov 2003
Dernières Nouvelles d'Alsace
Langue: Français
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Dernières Nouvelles d'Alsace

15 novembre 2003 · Veneranda Paladino

La baie du souvenir

"C'est moi partout", disait Marguerite Duras de Savannah Bay. En ce lieu dépositaire du monde, où l'amour s'affirme en creux, dans la mort, la naissance de l'enfant, elle surgit. Dans cet univers oriental, lieu de rencontre de deux femmes, Duras demeure encore parmi nous, en effet.

"Tu ne sais plus qui tu es, qui tu as été. tu sais que tu as joué, tu ne sais plus ce que tu as joué..." D'une limpidité de surface, d'une économie si rude, la parole durassienne ouvre d'abyssales résonances. Elle s'écoule ici dans le souffle grave et profond de Catherine Samie, la doyenne du Français.

Qui mieux que la 483' sociétaire pouvait incarner "la comédienne de théâtre, la splendeur de l'âge du monde"? N'est-elle pas pétrie non seulement de sa propre vie et du théâtre qu'elle a traversé jusqu'à maintenant, mais aussi de l'histoire de la Comédie française? On se souvient de la Mère Courage adressant une Dernière lettre de Vassili Grossman. dirigée par le documentariste américain Frédéric Wiseman, au Studio-Théâtre.

Quelqu'un vient, pour que le théâtre commence, (re)tisser les fils de la mémoire effilochés, et susciter la vie - telle mission est ici endossée par l'autre Catherine, Hiegel. Charnelle et verbale, leur union tente l'osmose avec ce texte empreint d'ombres et de mystères.

Pareil engagement, n'économisant ni voix ni corps, creuse au plus près l'idée même de transmission à travers l'acte théâtral. Une profonde et belle mise en abyme donc.

Écrite pour Madeleine Renaud et Bulle Ogier en 1985, Savannah Bay s'inscrit pour la première fois au répertoire de la Comédie-Française, renaissant à la scène par la magie d'Éric Vigner. C'est de La Pluie d'été, qu'il porta à la scène, que date sa rencontre avec Duras. Il se lia d'amitié avec elle pour les trois ans qu'elle vécut encore. Ce Savannah Bay affirme, de remarquable façon, une fidélité, et suit La Bête dans la jungle, une adaptation française de Marguerite Duras d'après Henry James. Irradié par la flamme durassienne, Vigner ne sacrifie-t-il point trop au culte?

"Mon travail était de créer un espace qui soit de la lumière, cette lumière des étoiles qui nous parvient même quand elles sont mortes.", dit-il. "Tu as tout oublié sauf Savannah, Savannah Bay, c'est toi", répond en écho Marguerite. C'est la baie du souvenir.