Ouest France · 21 janvier 1993 · LE RÉGIMENT DE SAMBRE ET MEUSE

Ouest France · 21 janvier 1993 · LE RÉGIMENT DE SAMBRE ET MEUSE
Le puzzle de l'absurde
Presse régionale
Critique
Xavier Alexandre
21 Jan 1993
Ouest France
Langue: Français
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Ouest France

21 janvier 1993 · Xavier Alexandre

Le puzzle de l'absurde

De la Somalie à la Bosnie, l'actualité guerrière continue de s'accrocher au globe comme une sangsue. Le Régiment de Sambre et Meuse, la pièce d'Éric Vigner jouée au théâtre de Caen par la compagnie Suzanne M. vient troubler le jeu du voyeur passif. Salutaire.

Le spectateur est embarqué sur la scène transformée en casemate quand tombe le lourd rideau tel un piège. Le clairon qui geint, le canon qui tonne, la drisse qui crisse levant un drapeau incertain. Ce pourrait être n'importe où dans la liste interminable des théâtres des conflits.

On pense d'abord à "14-18". À cause du titre, du nom d'un régiment dont le sacrifice lui valut un chant. À cause de toute une mémoire collective qu'imprègne encore ce qui devait être la "der des der", symbolisée par le poilu de bronze de la moindre place de village.

À partir de textes antimilitaristes - Céline, Allais, Courteline, Genet, Dubillard - Éric Vigner a reconstitué un puzzle de l'absurde aux couleurs bleu bizuth (ou horizon), blanc cadavérique et rouge sang. En contrepoint, interviennent les lettres du peintre (allemand) Franz Marc à sa femme. Il les a écrites du front, d'où il ne reviendra pas, et y parle d'un monde harmonieux par delà la guerre.

Soldats Brindavoine sortis d'un album de Tardi, les acteurs rappellent opportunément par leur jeunesse le printemps de ces gamins qu'on envoie allégrement au cassepipe. La pièce suit la chronologie redoutablement prévisivible : de l'incorporation au régiment à la vie fauchée. En arrivant l'appelé avait un nom, à la fin on ne sait plus l'identifier. Le comique pointe au bout du pathétique ; le cocasse voisine avec la tragédie.

Les scènes, entourées par le noir de la menace, s'enchaîne par des défilés ou des parades, sortes de danses macabres réinventées. Pythie aux sombres pressentiments ou ange consolateur surgi du rêve, apparait furtivement la femme dans une mise en scène mobile, de trappes et de câbles, où évoluent avec vigueur les comédiens. Un regret quand même, et il n'est pas mineur : dans tous ces mouvements, les voix se perdent trop dans les cintres et du même coup les textes sont parfois desservis. C'était du moins le cas à la représentation de lundi.