Interview · Éric Vigner · JUSQU’À CE QUE LA MORT NOUS SÉPARE

Interview · Éric Vigner · JUSQU’À CE QUE LA MORT NOUS SÉPARE
“C’est comme une trace qu’il faut activer.”
Note d’intention & entretien
Éric Vigner
2006
Théâtre du Gymnase - Marseille
Langue: Français
Tous droits réservés

Interview · ÉRIC VIGNER

Propos d'ÉRIC VIGNER reccueillis par le Théâtre du Gymnase, Marseille

“C’est comme une trace qu’il faut activer.”

Qu’est-ce qu’un metteur en scène sinon d’abord un lecteur ? C’est bien ainsi qu’Éric VIGNER voit les choses. Selon lui, s’il n’y a pas de texte, il n’y a pas de mise en scène possible. Et plus encore que le texte, ce qu’il défend, c’est l’écriture. “Moi, ce qui m’intéresse de toute façon, c’est l’écriture", explique-t-il. Cela ne veut pas forcément dire l’écriture dramatique. Mais quand il y a de l’écriture, quelle qu’en soit la nature, on peut en faire du théâtre. Que ce soit un scénario de Marguerite DURAS ou un poème de Roland DUBILLARD.”

Raison de plus lorsqu’il s’agit d’un texte dramatique de facture classique comme JUSQU'À CE QUE LA MORT NOUS SÉPARE de Rémi DE VOS. “Le théâtre de Rémi est impeccablement structuré avec un début, un milieu, une fin ; les trois unités : temps, lieu, action.” C’est dans sa boîte aux lettres du Centre Dramatique de Lorient qu’Éric VIGNER découvre pour la première fois l’écriture de Rémi DE VOS. “Il y a dix ans, il m’avait envoyé DÉBRAYAGE, une de ses premières pièces, qui parle du monde du travail. D’emblée, j’ai apprécié son humour féroce. Je lui ai aussitôt proposé de venir la mettre en scène.”

Depuis, Rémi DE VOS est le bienvenu à Lorient où il a même créé un club des auteurs qui accueille, entre autres, Marion AUBERT, David LESCOT, Fabrice MELQUIOT, Christophe PELLET, Nathalie FILLION. Une jeune génération de dramaturges qui aime se retrouver pour improviser ensemble sur scène des cadavres exquis et autres jeux littéraires. “Aujourd’hui, on n’a pas de temps à perdre, remarque Éric VIGNER. Nous avons la chance d’avoir de nouveaux auteurs qui ont laissé derrière eux la période sinistre du constat nihiliste. Cela me plait beaucoup, car cela me rappelle mes débuts avec Roland DUBILLARD.”

Curieusement, pourtant, ce n’est pas lui qui a pris la décision de monter JUSQU'À CE QUE LA MORT NOUS SÉPARE. Lui, il pensait plutôt à PLEINE LUNE, une autre pièce qui se trouve dans le même recueil aux éditions Actes Sud. “J’avais ce texte en permanence sur mon bureau. Mais ce n’était pas facile de le mettre en scène. Je l’ai passé à Micha LESCOT, qui ne connaissait pas l’écriture de Rémi DE VOS. Micha a lu les deux pièces et il a adoré JUSQU'À CE QUE LA MORT NOUS SÉPARE. Alors, on est parti là-dessus.”

En découvrant ce jeune homme pris dans une relation compliquée entre deux femmes, Micha LESCOT s’est enthousiasmé pour le personnage. “C’est un grand échalas, il a un peu réussi dans la communication et la publicité. Un type plutôt solitaire, cependant. Régulièrement, il appelle sur son téléphone portable, mais jamais on ne lui répond”, explique Éric VIGNER. De retour dans la maison familiale pour l’incinération de sa grand-mère, il va bientôt être happé par un passé qu’il aurait pourtant préféré oublier.

“On sent que cette maison maternelle où il revient, comme ça, par obligation est un univers un peu castrateur. À la fin de la première scène, sa mère lui annonce que son ancienne petite copine va venir. C’était son premier amour. Je crois qu’il y a quelque chose de profondément incestueux dans cette pièce. C’est une sorte de comédie, d’humour noir contemporain.On ne peut pas s’empêcher de rire. L’écriture est très simple. C’est une mécanique implacable, rythmée, digne de FEYDEAU. C’est une histoire de fous, une plongée dans l’inconscient.”

Aux côtés de Micha LESCOT, dans ce huis clos peu banal, on retrouve les comédiennes Claude PERRON et Catherine JACOB. “Elles sont parfaites pour cet espèce d’humour entre deux eaux, souligne Éric VIGNER. J’aime beaucoup ces histoires tragi-comiques où l’on ne sait pas trop sur quel pied danser. Là, on sent bien qu’il y a une écriture, quelque chose de très personnel. Tout est là. Car, finalement, on peut se poser la question : est-ce qu’il y a un art de la mise en scène ou s’agit-il d’une chimère ? Et la réponse, à chaque fois, c’est l’écriture. En tant que metteur en scène, on a une perception très forte de l’instant présent, de ce qui se passe. C’est pour cette raison qu’à un moment, on choisit un type d’écriture, pour témoigner de ça. Car au fond, je pense que l’écriture, c’est quelque chose qui laisse une trace. Alors notre boulot, c’est de faire en sorte que cette trace soit activée.”