La Scène · Juin 2010 · M/M (Paris)

La Scène · Juin 2010 · M/M (Paris)
Le CDDB et les M/M : l'histoire d'une fidélité
Revue spécialisée
Cyrille Planson
Jun 2010
La Scène
Langue: Français
Tous droits réservés

La Scène

Juin 2010

Interview : Mathias Augustyniak Graphiste, designer et fondateur avec Michael Amzalag de l’agence M / M (Paris)

Quelle place tient dans votre parcours cette collaboration de près de quinze ans avec le CDDB ?

C’est avant tout l’histoire d’une fidélité. Il est très rare dans nos métiers de pouvoir inscrire dans le temps un projet de commande. Cela n’existe plus vraiment aujourd’hui. La question n’est pas de savoir comment nous nous renouvelons dans ce projet, mais sa beauté et sa force tiennent plutôt à la façon dont il s’inscrit dans l’histoire de ce théâtre, sur ce territoire et dans le temps. Plus l’histoire est longue et plus elle est profonde, il ne s’agit plus de travail sur six mois, sur des projets qui ont pour seul objet de rendre les "produits" culturels plus appétissants pour le consommateur.

Être artiste associé, c’est être plus impliqué dans le projet du théâtre ?

À Lorient, la communication est envisagée comme un véritable projet artistique, comme peut l’être une mise en scène d’ÉRIC VIGNER, le directeur du CDDB. Tout l’intérêt de ce travail, c’est qu’il se déploie depuis quinze ans. Cela fait longtemps que le graphisme se plaît à dialoguer avec le théâtre. Être graphistes associés et pouvoir travailler sur une longue période nous permet de donner de la consistance à ce travail.

Quel est le dispositif mis en place à Lorient ?

Nous avons posé des règles simples dès le départ, une photo couleur pour l’affiche de chaque création, et uniquement pour les créations. Tous les textes en noir et blanc. L’affiche devient une proposition de mise en scène pour la pièce qui sera jouée, une interprétation libre. C’est un mode opératoire que nous avons posé et qui a depuis été repris dans de nombreuses communications. Nous rencontrons souvent les metteurs en scène avant de réaliser l’affiche. C’est un objet complexe qui est donné au public, hors des sentiers battus de la consommation.

Vos propositions sont plutôt radicales. Comment le public, les professionnels, réagissent-ils à ce travail ?

Les affiches se sont imposées peu à peu au public, avec le temps. Le code visuel utilisé n’était pas celui du théâtre, et même dans ma profession, ce travail a fait l’objet de beaucoup de remarques. Les règles établies l’ont pourtant été de manière très spontanée, dans un rapport intuitif au lieu et à son projet. Le rejet des débuts, qui était assez fréquent, a laissé place à une plus grande adhésion. Un metteur en scène nous a dit récemment que l’un de ses plus grands plaisirs, outre le fait de jouer au CDDB, c’était d’avoir vu l’affiche de sa création réalisée par nos soins.


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Interview : Bénédicte Vigner Directrice artistique du CDDB (Lorient)

Comment s’est déroulée votre rencontre avec les tout jeunes M/M il y a une quinzaine d’années ?

Quand nous sommes arrivés à la direction du théâtre de Lorient avec mon frère (ÉRIC VIGNER : NDLR), je ne comprenais rien à ce qu’était la communication, quels sont les codes du graphisme, comment on compose une affiche... Grâce à des amis, j’ai croisé la signature visuelle de jeunes graphistes qui débutaient. Il s’agissait des M/M. Nous les avons rencontrés et ce qui m’a marqué c’est qu’ils étaient vraiment à notre écoute. Comme nous arrivions à Lorient, nous devions tout penser en même temps : le lieu, le territoire, le projet artistique, la communication et ce qui fait lien entre tout cela.

Ils sont aussi devenus artistes associés au CDDB... Je crois que le CDDB est rapidement devenu pour eux un espace de liberté, une sorte de laboratoire. Nous avons eu beaucoup de conversations et ils se sont associés peu à peu à d’autres projets, pas seulement le graphisme de la saison, mais aussi une scénographie d’opéra qu’ils ont réalisé, un film... Ils sont devenus amis avec les acteurs de l’équipe artistique d’ÉRIC VIGNER, à qui ils ont fait découvrir d’autres artistes comme récemment Benjamin Biolay. J’ai l’impression que l’on construit vraiment quelque chose ensemble, autour d’un point de convergence: l’intime.

Que répondez-vous à ceux qui pourraient penser que cette communication est trop ambitieuse ou "excluante" pour le public lorientais ?

Quand nous sommes arrivés, j’ai été confrontée à l’architecture de la ville. Reconstruite après la guerre, très vite, elle ne ressemblait à rien. Elle était grise. C’est pourquoi, avec nos affiches, nous avons souhaité mettre de la couleur, créer la surprise. Nous n’aurions sans doute jamais pu faire cela à Quimper, je pense, avec une ville d’un tout autre aspect. Ici, la ville avait été bombardée, elle ne possédait pas de théâtre à l’italienne. La communication des M/M a pris avec le temps. Les enfants ont bien accroché, dès le départ, à la simplicité d’accès à l’image. C’est comme une identité, pas un élément de communication. En fait, les critiques les plus dures sont venues de Paris, d’autres professionnels, qui ont pu porter un regard condescendant sur ce que nous proposions aux Lorientais. En même temps, ces gens qui étaient outrés au début ont peu à peu copié ce que les principes que M/M ont su poser, à Lorient ou ailleurs. Entre nous, c’est une conversation. Cela communique.