Illusion comique... illusion du regard · Marie Vallet-Sandre · L'ILLUSION COMIQUE

Illusion comique... illusion du regard · Marie Vallet-Sandre · L'ILLUSION COMIQUE
Une pièce sur le théâtre, sur la nécessité du théâtre
Commentaire & étude
Marie Vallet-Sandre
1996
Dossier personnel pour le Baccalauréat L
Langue: Français
Tous droits réservés

ILLUSION COMIQUE... illusion du regard...

Marie Vallet-Sandre (élève de Terminale L option Thâtre en 1996)

Dossier personnel pour le Baccalauréat L

" Aller au bout des vers et laisser venir les images" ÉRIC VIGNER

ILLUSION COMIQUE... illusion du regard... reflet des spectateurs dans les vitres sur la scène. La salle reste allumée comme si le public ce soir faisait partie du spectacle. La bande son nous trompe et le silence se fait lentement. Mais qu'il est difficile de faire taire les gens pour qu'ils regardent. Simplement regarder, les comédiens qui traversent, s'habillent et placent les chaises... Puis entendre la voix d'un acteur qui lit le texte de CORNEILLE. Le texte comme on le trouve lors des répétitions: tapé sur feuilles blanches à l'ordinateur. Ce comédien n'est pas à cet instant un comédien d'aujourd'hui, mais un acteur d'antan qui joue au comédien. Nous ne sommes plus dans le vrai ou le faux, nous allons devoir déceler la vérité de l'illusion.

L'ILLUSION COMIQUE est une histoire d'amour. Une histoire où les sentiments du vrai se mêlent à ceux du faux, une histoire où il est si facile de se laisser tromper. Le pardon et l'amour triomphent de la confusion, grâce au pouvoir du magicien, Pridamant retrouve son fils dont la vie a pris un autre chemin que le sien. Sur le plateau des rangées de vitres transparentes (celles où se reflétaient les spectateurs) reflètent le corps des comédiens et donne l'impression de mirages ou de visions. L'ILLUSION COMIQUE n'est pas une pièce à machine, il n'y a aucun effet spéciaux. Les pouvoirs d'Alcandre sont décrits dès la première scène par Dorante,

"Ce mage qui d'un mot renverse la nature...
Que de ses mots savants les forces inconnues
Transportent les rochers, font descendre les nues"

Ce sont les mots qui ont tout le pouvoir, et ce n'est que grâce à eux et par eux que la pièce peut exister. Nous ne sommes pas dans la magie, un mot (=le théâtre) peut changer la vie. ÉRIC VIGNER et CLAUDE CHESTIER ont voulu présenter un espace qui imposerait nombre de points de vues de la pièce. Il faut rapprocher cette scénographie de l'époque où CORNEILLE écrit sa pièce. C'est l'année de la construction de la Place des Vosges et la première fois que l'on utilise la perspective cavalière permettant de voir de côté et d'en haut, "moi aussi j'ai voulu que l'on voit les choses de côté" s'explique ÉRIC VIGNER. Le centre est rejeté car inutilisable puisqu'il est occupé par la fosse des musiciens. La scénographie est agréable et permet de belles images, ÉRIC VIGNER a voulu "non pas construire un espace mais susciter des images". À travers ces vitres circulent des corps, des sentiments et on remarque facilement un équilibre entre l'ombre et la lumière, l'opacité et la transparence.

Pour donner cet équilibre, la lumière devient actrice à part entière. On assiste à différents jeux de lumière suivant les personnages en scène et l'importance du moment. La pièce commence comme une féerie avec la description par Dorante, un chandelier à la main, de l'arrivée du magicien. Puis elle se poursuit comme une comédie pour terminer en tragédie. Durant toute la représentation Pridamant et Alcandre restent sur scène, muets mais extrêmement présents et vivants. Par des éclairages différents lorsque ceux ci sont à cour ou à jardin, on a l'impression que l'on a fait pivoter la scène. Le décor n'explique et n'éclaire pas les choses, ce rôle est laissé aux mots, si bien prononcés, aux acteurs et à la musique. La musique tient une place importante dans le spectacle, cela par sa disposition au centre du plateau et par ses interventions nombreuses et régulières. Elle contribue au rêve que le spectateur se fait devant le reflet des glaces et enrichit le texte en lui donnant un sens encore plus fort et descriptible.

Le Quatuor Matheus qui se trouve sous la scène accompagne chaque personnage et rythme la pièce. Bien souvent la musique contraste avec la vitesse de l'acte ou bien avec le sujet dont il est question. En plus du son qu'elle laisse s'échapper, la présence concrète des musiciens dans le spectacle suscite des interrogations dans la tête des spectateurs et renforce l'idée que "tout est vrai comme tout n'est qu'illusion".
ÉRIC VIGNER évoque par une très belle image cette présence contribuant à perdre le spectateur (comme Pridamant) dans l'illusion, "Un caprice croise l'autre, lui répond tout au long d'un parcours où réel et illusion jouent à cache-cache". Si le décor n'éclaire pas le sens du texte, il le renforce cependant puisqu'il reflète les comédiens porteurs du texte.

Monter un classique aujourd'hui est une chose bien difficile car "la langue des classiques nous est devenue une langue étrangère" s'explique le metteur en scène. ÉRIC VIGNER a cherché a épurer le texte de tout aspect psychologique et sentimental, car c'est le vers lui même, dans son ensemble qui est le sentiment. Le texte est livré au comédien sans ponctuation car celle-ci est rajoutée. On sent dans la diction des personnages, surtout d'Isabelle, un respect scrupuleux pour la langue et une attention particulière accordée à tous les mots. Chacun d'entre eux ne parle pas comme il parle tous les jours, mais en plus de cela ils prennent leur temps. Certes le temps pris pour laisser au public le temps de comprendre et d'enregistrer le texte, ralentit le rythme de la mise en scène. Il est dommage que cette lenteur déteigne sur le corps des personnages et dans tous leurs déplacements. Cependant grâce à cela le texte est impeccablement prononcé et compris par le spectateur. Un rythme s'installe et l'on se laisse bercer, attiré par les vitres...

Une attention immense est portée à la diction de l'alexandrin car ÉRIC VIGNER refuse la "diction expressive", qui met de la psychologie dans les vers. La volonté première était d'être le plus neuf possible devant le texte, c'est à dire de n'imposer aucun parti pris de mise en scène. Selon lui, "chaque vers est un mot phonologique dont il faut respecter l'unité". La pièce parle du pouvoir des mots, sujet principal au théâtre, et tout part de là. Ce ne sont que des mots qui trompent Pridamant, les mêmes mots qui lui apprendront plus tard pourtant la vérité.

L'aire de jeu, particulière, puisqu'elle ne permet pas d'aller au centre et qu'elle est structurée par des paravents de verres, permet cependant de belles images et positions des acteurs.

Les comédiens viennent principalement du TNS ou du Conservatoire et sont de jeunes acteurs, sauf Guy Parigot qui fût le premier professeur d'ÉRIC VIGNER. Pour parler d'eux ÉRIC VIGNER parle de "planètes différentes (qu'il a) voulu réunir". Leur jeu leur est propre et l'on ressent une grande liberté de la part du metteur en scène dans les déplacements. ÉRIC VIGNER ne veut rien imposer et n'aime pas la désignation "metteur en scène", il ne cherche pas à jouer au capitaine du navire et enrichit sa mise en scène par la diversité des comédiens. Les regards nombreux au public contribuent à le faire douter de l'état dans lequel il se trouve.

C'est à Alcandre de tirer la conclusion. Une conclusion sur le théâtre car derrière une histoire d'amour paternel, se cache un manifeste sur l'art dramatique,

"...à présent le théâtre/
Est en un point si haut
qu'un chacun l'idolâtre."

Isabelle ramasse le manuscrit que tenait Dorante à l'acte I, la rampe s'allume devant Pridamant qui a pardonné à son fils. Le rideau rouge est tiré, l'illusion est terminée, "Tout est vrai, tout est du théâtre"(ÉRIC VIGNER).

"C'est une pièce sur le théâtre, sur la nécessité du théâtre." ÉRIC VIGNER