15/08/01 · Cahier de répétitions · Sabine Quiriconi · LA BÊTE DANS LA JUNGLE

15/08/01 · Cahier de répétitions · Sabine Quiriconi · LA BÊTE DANS LA JUNGLE
Notes autour du travail à la table.
Document de répétitions
Sabine Quiriconi
15 Aug 2001
Cahier de répétitions
Langue: Français
Tous droits réservés

Lorient, Mercredi 15- août 2001

Texte en main, ils reprennent le travail à la table : mouvement des phrases, ambiguïtés, jeux de mots, homophonies signifiantes, constructions abyssales, rythmes_ ce qui dépasse le sens constitue un nouveau départ pour les acteurs et les engage à avancer avec précaution, mot à mot.

Dynamisme de l'écrit. Bien sûr que DURAS, c'est ça. C'est le mot. Si les acteurs ne se concentrent pas sur l'énonciation, s'ils ne font pas de la profération le drame même du théâtre, si parler n'est pas une action en soi, qui réclame tous les soins, toutes les attentions, si l'anecdote et la situation priment, rien ne se produit. Ou le pire : on n'est jamais très loin avec DURAS - comme avec JAMES d'ailleurs -, de schémas narratifs désuètement bourgeois.

Le store blanc s'impose alors, image hallucinante, aveuglante, jamesienne et dont DURAS ressasse l'apparition, trouvant par là la possibilité de mettre en valeur un motif récurrent dans ses propres textes. Le rectangle lumineux est un périmètre qui se dessine au sein de l'obscurité, dont il fait partie. Il n'en est pas le contraire.

Dans le noir, en effet, grouillent des présences, des regards de voyeur, tourné vers le territoire incandescent, le plus souvent désert, ou peuplé de quelques fantômes.
L'absence de lumière caractérise une aire dans laquelle on parle, on raconte, tourné vers un troisième objet, absent, un territoire blanc d'incandescence. C'est le fait de voir à peine ou de ne pas voir, tout en conservant la distance nécessaire à l'exercice du regard, qui motive la parole.

Dans SAVANNAH BAY, Madeleine et la jeune femme articulent des histoires possibles, narrent ce qui a, aurait pu arriver à ceux qui ont disparu. Le rectangle de lumière blanche spatialise l'oubli. Il est le lieu de la scène primitive, invivable, insaisissable autrement que par la douleur de l'aveuglement, irreprésentable. Ce territoire de l'absence est aussi associé au mode dramatique.

(Ce dispositif est récurrent dans les pièces de DURAS : lorsque les acteurs habitent l'espace blanc et prêtent leur voix aux passages dramatiques, ils sont des morts vivants. Cela exclut la possibilité d'un traitement réaliste des parties dialoguées dans les textes de Duras). À l'extérieur, dans l'obscurité, des voix narratrices articulent un récit épique et incertain, né de leur fascination pour le désert de blancheur dont elles sont séparées.

De même l'écrit est d'une double nature : il naît de l'ombre et de la clarté. Les profondeurs abyssales, la confusion originelle avec la matière - le noir - sont déchirées d'une lumière - toujours artificielle pour éviter la confusion avec les valeurs classiques et morales qu'on accordent généralement aux lumières naturelles -.

Le théâtre de MARGUERITE DURAS se joue au seuil de ces deux espaces pétris d'une même matière. C'est dans une zone transitionnelle que s'invente tout à la fois le risque de l'écrit, la forme ambivalente de la mémoire, l'infime possibilité du théâtre, la parole. Il s'agit de se mettre d'accord, avec les acteurs, sur ce qui restera sans solution, sans éclaircissement tout au long du travail, et non de s'unir autour d'une compréhension commune du texte, d'une interprétation, même ouverte, de l'oeuvre.

Nous nous racontons des histoires, nous échangeons des livres - succès total du BOA de MARGUERITE DURAS. Les acteurs essaient de ne pas écouter. Nous partageons des silences.

Nous attendons. Nous nous rencontrons. Nous avons des fou-rires.