Ouest France · 24 novembre 1994 · REVIENS À TOI (ENCORE)

Ouest France · 24 novembre 1994 · REVIENS À TOI (ENCORE)
Tragique et mieux que bien.
Presse régionale
Critique
Yannick Butel
24 Nov 1994
Ouest France
Langue: Français
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Ouest France

24 novembre 1994 · Yannick Butel

L'effet boomerang

Avec Reviens à toi (encore) de Gregory Motton, le Théâtre de Caen prenait un risque là où plus personne n'y prétend. Pas spectaculaire, théâtre pur et dur, la mise en scène d'Éric Vigner fait feu de tous les recoins de la scène et de la salle. Tragique et mieux que bien.

On dit de Motton que c'est un jeune homme en colère. À trente-deux ans, l'auteur de Chutes, Ambulance, La terrible voix de Satan...ici et de Reviens à toi (encore) n'en finit pas d'exhumer les spectres de la précarité. Précarité de l'emploi, des amitiés, des certitudes... Monde en déséquilibre, surface en décomposition, être ou ne pas être bouffé par son prochain est la question de Motton.

Le fragment qui est la figure littéraire qu'il utilise a à voir aussi avec la bombe à fragmentation. Les cibles sont indirectes. Dans Reviens à toi (encore), trois personnages bouffis de haine et d'amour parlent de toutes les misères. Entre prières et lamentations, les quatorze tableaux (qui rappellent les quatorze stations du Christ) se regardent comme une autopsie de la boue du monde, à travers "l'autopsy" des triplés.

Un mur à demi-maçonné en agglos rappelle les murs de pierres d'Irlande. Une ampoule sur la scène comme le projo d'un interrogatoire. À équidistance, la même dans la salle (qui c'est l'interrogé ?). Dans une main anonyme, de la bibine. Abe fait des discours sur le monde jusqu'à se rouler dans la boue. FP en anorexique plate et blafarde ramène toujours ses bras immenses vers le creux de son ventre. Esther rouille sur son fauteuil d'handicapé.

Les mots font peu de bruits parce qu'ils ne parlent pas fort, mais ils font du mal, le mal. En dehors de la scène, dans la salle, au balcon... Reviens à toi (encore), c'est Motton ayant lu Kafka et Joyce passant d'une page de l'un à l'autre. Quant à la mise en scène de Vigner, elle va en deça de la scène jusqu'à faire de celle-ci un espace accessoire, un espace hors-jeu qui focalise la marginalité. Cynique, morbide... Effet boomerang assuré.

Bravo.