Le Monde · 25 octobre 1991 · LA MAISON D'OS

Le Monde · 25 octobre 1991 · LA MAISON D'OS
Un spectacle drôle, vif, intelligent.
Presse nationale
Critique
Colette Godard
25 Oct 1991
Le Monde
Langue: Français
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Le Monde

25 octobre 1991 · Colette Godard

Promesses

éric Vigner est jeune, enthousiaste, et peintre de formation (le Monde du 12 septembre). Il appartient à cette nouvelle génération que le Festival d'Automne a choisi de faire connaître. Il s'est installé à la Grande Arche de la Défense. Le parcours est impressionnant le soir, de la dalle déserte aux couloirs vides, puis l'arrivée au pied d'un escalier en spirale, tout verre illuminé et métal, puis l'entrée dans la salle sommairement aménagée, où éric Vigner présente la Maison d'os, de Roland Dubillard — créée par Arlette Reinerg au début des années 60, au Lutèce, petite salle disparue.

Dubillard lui-même était le héros de sa pièce, entouré de personnages qui l'étouffent, l'exploitent, lui manifestent une gentillesse distraite. Domestiques et parents indifférents à son mal. La maison d'os, c'est son corps rongé qui se lézarde. C'est lui se regardant se déglinguer, s'anéantir, et regardant le monde avec le doux cynisme de qui n'attend rien. On retrouve sensiblement le thème du Roi se meurt de Ionesco, paru peu avant.

Les comédiens d'Éric Vigner sont nombreux autour de ce héros misérable, grand escogriffe rêveur en robe de chambre. Jeune lui aussi. Dans l'adaptation très réduite présentée ici, il devient un personnage "en creux". Et la pièce, une série de sketchs qui se carambolent. Quelque chose comme Les Diablogues, de Dubillard toujours, petites merveilles d'ironie et d'absurde, dont, manifestement, les comédiens possèdent l'acuité. Ils ont du punch et de la fraîcheur. Leur spectacle est drôle, vif, intelligent. Mais c'est comme une bicyclette sans guidon. La Maison d'os pourrait aller plus loin. Le plus intéressant est la façon dont éric Vigner et son équipe font bouger l'espace, le font vivre, et vibrer avec quelques ronds de lumière, un "rideau" de bidons rutilants, une guirlande de lampions. Peut-être faut-il se sentir réellement lassé, vieux dans son corps pour traduire la terrible détresse de Dubillard. Ceux-là sont pleins de vitalité et de promesses.