Entretien entre Ginette Noiseux et Marie-France Lambert · SEXTETT

Entretien entre Ginette Noiseux et Marie-France Lambert · SEXTETT
Entretien Marie-France Lambert
Note d’intention & entretien
2009
Espace Go - Montréal
Langue: Français
Tous droits réservés

SEXTETT

Entretien avec MARIE-FRANCE LAMBERT / WALKYRIE

« Tu t'arrêtes, je te tue. » Walkyrie

Ginette Noiseux :
Au moment où ESPACE GO te faisait la proposition de participer à la création de SEXTETT, pas une ligne n'avait encore été écrite. Nous n'avions même pas encore de titre. Qu'est-ce qui t'a incitée à te joindre à cette aventure? Cela répondait-il à un besoin à ce moment-ci de ta trajectoire d'actrice?

Marie-France Lambert :
Le projet répondait à toute sorte de désirs : le désir d'aller travailler ailleurs, de l'inconnu, de retrouver ÉRIC VIGNER sur une création d'un texte à déchiffrer ensemble, de travailler pour GO et avec Anne-Marie Cadieux, qui est ma grande amie.

G.N. :
C'est la deuxième fois que tu travailles sous la direction du metteur en scène ÉRIC VIGNER, que tu as connu sur SAVANNAH BAY de Duras à l'ESPACE GO. Comme actrice, comment décrirais-tu cette expérience?

M-F.L. :
Comme metteur en scène, il a tout un langage, une approche du texte, du théâtre qui sont différents! Avec Duras, il était d'une précision maniaque avec les mots, et j'ai retrouvé chez lui, sur le texte de RÉMI DE VOS, le même amour des mots. Les mots sont de la musique pour Éric, du rythme, on dirait que c'est quelque chose qu'il ressent physiquement. Cet homme-là jouit des mots.
Ensuite, le corps doit venir les incarner, mais pas d'une manière naturelle, car le quotidien ne l'intéresse pas. Il faut aller au-delà des habitudes. Au début, ça peut être agaçant, contraignant. Il va chercher toutes les couches sous une phrase, aussi simple soit-elle, alors c'est très engageant et très difficile pour l'interprète. Mais après, tu comprends qu'il veut juste nourrir la phrase de toute sorte de pensées, de sensations. Ensuite, comme comédienne c'est à toi d'aller puiser dans cette matière. C'est dans ce cadre-là que se trouve ta liberté, c'est vraiment étonnant. Toute sa mise en scène est comme ça aussi, d'une très grande précision, même si dans le travail, d'une répétition à l'autre, tout peut changer. ÉRIC veut qu'on additionne ce qu'il nous dit, que l'on s'approprie ses différentes indications pour en faire ressurgir notre propre imaginaire par rapport au personnage. Il faut donc être très solide et autonome pour travailler avec lui. Il ne faut pas être en attente d'être sécurisée, car il est très persistant et pas du tout paternel !

G.N. :
Dans SEXTETT, les femmes, réelles ou imaginaires, sont soit idiotes (ou semblent l'être en dégageant une incompréhension totale de ce qui se passe dans l'immédiat), soit putes (travesti siliconé style poupée gonflable), soit des voisines qui sont respectivement lesbiennes et bisexuelles (sans compter qu'elles se bombardent de vulgarités et d'insultes sexuelles de toutes sortes). De surcroît leur chien est une chienne qui est aussi une femme. Et l'on apprend que la mère de Simon était transsexuelle! Il y a souvent des situations très drôles, parce que complètement absurdes. Et quand ces femmes, totalement subversives s'offrent à Simon, elles nous plongent, comme public, dans l'inconfort et laissent Simon dans la plus grande confusion, à commencer par celle de sa propre sexualité!

M-F.L. :
Je crois que c'est ÉRIC qui a dit que pour lui, l'humour est nécessairement lié à des choses graves. Plus c'est sérieux, plus on a besoin d'en rire. C'est aussi ça SEXTETT. Au premier contact, la pièce, bien qu'étrange, semble d'abord fluide, avec son ton « comme ça », d'une grande légèreté. On a écrit « comédie érotique », ça met en scène la confusion des désirs sexuels. C'est une comédie contemporaine et c'est parfois très drôle. Dès que Simon veut dire oui au désir d'une des créatures de SEXTETT, quelque chose l'en empêche, l'empêche de devenir un homme... Cette pièce, elle est aussi inquiétante parce qu'elle aborde ce sujet : la peur des femmes.

G.N. :
Quand tu as reçu le manuscrit de SEXTETT, tu as découvert que tu joues le rôle d'une chienne, personnage charnier de l'imaginaire de cette pièce. Avec Éric, comment avez-vous abordé Walkyrie?

M-F.L. :
J'ai essayé d'arriver là très vierge, très ouverte à tout. Mais je n'avais pas envie d'essayer d'être un animal, de me retrouver à quatre pattes, de trouver une gestuelle canine. On s'est demandé longtemps : « Est-ce une femme qui joue un chien ou est-ce un chien qui joue à être une femme? » Moi, j'ai décidé que c'est une femme qui joue un chien. C'est un fantasme tout ça, un fantasme qui pourrait se passer entre deux clignements d'oeil du personnage de Simon, comme nous le disait Éric. En plus, Simon s'évanouit au début de la pièce, alors on peut penser que tout ce qui va advenir à partir de là se passe pendant sa perte de conscience et que c'est son inconscient qui appelle toutes ces créatures féminines. La chienne représente la sexualité en dehors des freins de la moralité, une part d'ombre, un interdit, un fantasme comme celui de baiser avec un animal qui ne porte aucun jugement. Je me suis rapidement enlignée là-dessus : éliminer toute sorte de psychologie. J'arrive là. J'ai faim. J'ai soif. Je n'ai pas d'intention autre que satisfaire des besoins physiques.

G.N. :
Quand je pense à des rôles pour Marie-France Lambert, ce sont souvent à des rôles de femmes de tête, comme on dit. Dans SEXTETT, on te retrouve dans un tout autre registre. Quand tu entres en scène, tu es d'une sensualité magnifique et offensante à la fois. L'inquiétude traverse la salle. Évidemment, cette apparition d'une femme chienne transgresse nos tabous, et notre éducation. C'est très dérangeant. On ne sait pas si on a vraiment envie d'assister à ça.

M-F.L. :
Ce que je trouve beau, c'est que malgré le fait que j'incarne une bête, ça reste une bête qui est élégante. J'aime beaucoup avoir cette tête de chien, de bull-terrier avec ce corps très féminin et sexy. C"est fun de jouer un personnage sexy à 45 ans. Ce sexy-là est beau parce qu'il a de la force, c'est un corps qui est triomphant, fier. Au début, je me butais contre le souhait d'ÉRIC de me voir vêtue de façon très moulée avec des talons hauts. Un peu parce que j'ai été longtemps à me dire qu'une femme pouvait être sexy pieds nus ou en running shoes. Mais je dois m'incliner, le talon haut pour Walkyrie est vachement sexy!

G.N. :
Pour jouer Walkyrie, tu as eu aussi à relever ce défi de taille qui est de porter un masque.

M-F.L. :
Je n'avais jamais fait ça! La lumière d'une actrice, son contact avec le public vient souvent des yeux, ce sont les phares au théâtre. Au début, avec ce masque, je me sentais coupée de mes moyens, coupée de Micha, mon partenaire sur scène. Je me sentais enfermée dans cette espèce de tête de chien. C'est un art en soi le travail avec le masque, certains y travaillent durant des années! J'ai lutté contre ça, je rageais, je me demandais comment j'allais faire pour m'exprimer. Il me restait mon corps, mais j'avais beau m'agiter, il y avait quelque chose qui ne fonctionnait pas.
Erhard Stiefel, le concepteur du masque, a assisté à quelques répétitions et il a soulevé un point formidable. Il a dit à Micha : «Tu sais, c'est toi qui va faire exister ce chien, c'est toi qui fais vivre le masque, ce n'est pas elle. » Même sans masque, c'est la base du jeu : si l'autre te fait une scène incroyable de colère et que tu ne le fais pas vivre à travers ton regard, et bien c'est mort. À partir de ce moment-là du travail, Micha ne m'a plus quittée des yeux. Là, ça a été magique. J'ai juste à être là et à le regarder et si lui ne me quitte pas des yeux, il y a un danger qui se fait sentir. Je deviens dangereuse, menaçante. S'il me tourne le dos, c'est fini, la scène ne fonctionne plus. Ça se fait à deux.
Le théâtre, c'est ça. L'amour, la vie et tout le reste. Tout seul, on n'arrive à rien.

Extrait du dossier public · Espace Go, Montréal

Propos recueillis par Johannie Deschambault