Cyberpresse.ca · 10 octobre 2009 · SEXTETT

Cyberpresse.ca · 10 octobre 2009 · SEXTETT
Objet théâtral non identifié en vue
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Marc Thibodeau
10 Oct 2009
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10 octobre 2009 · Marc Thibodeau

Objet théâtral non identifié en vu

(LORIENT) Pour souligner son 30e anniversaire, Espace Go a décidé de faire les choses en grand en s'offrant un objet théâtral non identifié qui se posera à Montréal en janvier prochain après un passage en sol français. Bien accueillie par le public de Lorient, en Bretagne, Sextett sera présentée du 15 octobre au 14 novembre au Théâtre du Rond-Point, à Paris.

Espace Go accueillera en janvier une pièce de l'auteur français Rémi de Vos, Sextett, qui entraîne le spectateur dans un univers étrange où mort, sexe et rire se mélangent pour former un singulier cocktail.

Plutôt que de puiser dans le répertoire existant, la directrice de l'établissement, Ginette Noiseux, a décidé de s'associer au Centre dramatique national de Lorient, en Bretagne, pour créer une oeuvre originale donnant la part belle à six interprètes de renom, dont les Québécoises Anne-Marie Cadieux et Marie-France Lambert et la Portugaise Maria de Medeiros, surtout connue pour ses rôles au cinéma. "C'était un pari très gonflé", a résumé lundi Mme Noiseux, quelques heures avant la première française de Sextett, présentée comme une "comédie érotique déjantée". Une étiquette qui ne donne pas tout à fait la mesure de la singularité du résultat.

Le metteur en scène, Éric Vigner, confie que l'écriture de la pièce, issue de la plume de l'auteur Rémi de Vos, n'a pas été chose facile. "Le texte s'est fait attendre plusieurs mois", dit-il. De tâtonnement en tâtonnement, le tandem a fini par s'entendre sur l'idée de créer une suite à une pièce précédente, Jusqu'à ce que la mort nous sépare, dans laquelle un jeune homme, Simon, retourne dans la maison familiale à la suite de la mort de sa grand-mère.

Dans Sextett, le même Simon, interprété par Micha Lescot, revient à l'occasion de la mort de sa mère. Il est accompagné de Claire, une collègue, interprétée par Anne-Marie Cadieux, qui lui avoue sa flamme et le presse de faire l'amour après s'être longuement attardée au comportement d'une chienne qui détruit le jardin. S'en suit une succession de personnages féminins étonnants: "sa pute" aux apparences de poupée gonflable, Sarah, qui répète "On baise?" comme un leitmotiv, des voisines adeptes de musique qui veulent chanter du Schubert pour s'excuser des frasques de la chienne et... la chienne elle-même, mi-femme, mi-animal. Toutes assaillent le personnage central de leurs désirs et, parfois, de leurs menaces. La mort de la mère libère une foule de souvenirs chez le fils, qui entraîne le spectateur dans une balade entre fantasme et réalité ponctuée d'images et de dialogues qui rappellent à la fois Ionesco et... David Lynch.

On sent l'influence de ce dernier dans une scène où Micha Lescot, étonnant de maîtrise physique, recule et avance comme une araignée face à une Sarah au visage de latex et aux seins surdimensionnés. Éric Vigner se reconnaît volontiers une affinité avec le cinéaste américain, qui produit des oeuvres troubles sur lesquelles il est difficile de plaquer un sens. "Je peux revoir ses films 20 000 fois sans jamais me lasser. Chaque fois, je ne comprends rien", souligne le metteur en scène, qui veut créer un espace de liberté maximal pour le spectateur plutôt que de lui marteler un message. "Le but est de lui permettre de projeter ses propres désirs", souligne-t-il, en relevant qu'il a fallu surmonter de longs moments d'angoisse pour trouver la forme définitive du spectacle, retravaillé substantiellement jusque dans les derniers jours.

Un acte de foi

Pour les comédiennes elles-mêmes, la participation au spectacle représentait en quelque sorte un «acte de foi» puisqu'elles ont dû s'engager avant d'avoir lu le texte. Avant même, en fait, que le texte soit écrit. Marie-France Lambert ne cache pas qu'elle a eu un choc en découvrant, à la première lecture, qu'elle était appelée à jouer... une chienne. "Je tournais les pages en me disant: "Coudonc, où est-ce que je suis, là- dedans?" Jusqu'à ce que je trouve mon rôle... Je me suis vraiment demandé ce que j'allais faire avec ça, mais j'avais confiance en Éric, avec qui j'avais déjà travaillé." L'adaptation a été compliquée par le fait que la comédienne a dû apprendre à composer avec un masque. "C'est un art en soi, travailler avec ça», souligne l'actrice, visiblement ravie de son expérience. Idem pour Anne-Marie Cadieux, qui s'est jointe à la troupe avec quelques jours de retard. "En général, lorsqu'on va jouer à l'étranger, on arrive avec toute une équipe. Là, c'est différent, il fallait s'intégrer. Mais tout s'est bien passé", souligne l'actrice, qu'Éric Vigner décrit comme une "Ferrari" de l'interprétation.

Le résultat de ces efforts a été bien accueilli lundi par le public de Lorient, qui alternait entre éclats de rire et silences inquiets au rythme des rebondissements de la pièce. Il a également été bien reçu par la critique du quotidien Le Monde, qui décrit Sextett comme une "comédie du désir qui sent le pétard". Ginette Noiseux croit que le singulier univers de Rémi de Vos recevra un accueil chaleureux à Espace Go, face à un public qui aime expérimenter de nouvelles formes de dramaturgie. Éric Vigner en espère autant. "Les gens qui vont avoir la chance, ou le malheur, de voir la pièce vont être habités longtemps", promet-il.