La Quinzaine littéraire · 1er décembre 2008 · OTHELLO

La Quinzaine littéraire · 1er décembre 2008 · OTHELLO
Éric Vigner signe la scénographie et les costumes du spectacle d'une rare beauté.
Presse nationale
Critique
Monique Le Roux
01 Déc 2008
La Quinzaine Littéraire
Langue: Français
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La Quinzaine Littéraire

1er décembre 2008 · Monique Le Roux

Tragédies shakespeariennes

Éric Vigner présente à l'Odéon - Théâtre de l'Europe un spectacle créé début octobre à Lorient, au Centre Dramatique national qu'il dirige. Il a choisi de demander à l'auteur associé à cet établissement, Rémi De Vos, dont il a déjà monté deux pièces, une nouvelle traduction. Et il en cosigne une adaptation caractérisée par la brièveté des répliques, l'actualisation du vocabulaire : "une Vénitienne ultrasophistiquée", la quotidienneté du langage : "Comment ça va, maintenant ? Il a l'air plus gentil que tout à l'heure" ou sa trivialité : "La vertu, mon cul !", "Pleine de grâce, mon cul !". Cette version publiée est accompagnée d'une postface qui explicite la vision contemporaine de la pièce par la transposition à la relation entre la France et l'Algérie du lien de Venise et de la Mauritanie, pays natal du grand chef militaire engagé à son service par la République des Doges : "La Mauritanie de Shakespeare est l'Algérie de Vigner : un travail de la mémoire, une anamnèse contre les amnésies que les politiques tentent parfois de conforter en déniant aux historiens et aux artistes l'art de leur art, et aux cités de banlieues ou de province, leur droit de cité ou centralité".

Cette publication ferait mal augurer de la suite. Mais Éric Vigner, d'abord orienté vers les arts plastiques, signe aussi la scénographie et les costumes du spectacle d'une rare beauté. Ainsi l'arrivée à Chypre après la traversée, les retrouvailles de Desdémone et d'Othello restent une image inoubliable dans sa limpide simplicité, comme une vision onirique de ce "bonheur suprême" déjà menacé. Mais le plateau est le plus souvent structuré par la verticalité de tours mobiles avec passerelles, prenant tantôt l'apparence d'une architecture arabe avec moucharabiehs, tantôt celle de gratte-ciel illuminés. Et dans ce contexte la distribution, très controversée, de Samir Guesmi, d'origine maghrébine, dans le rôle du noir Othello ne détonne en rien. Il importe seulement que l'interprète du protagoniste fasse jeu égal avec Bénédicte Cerutti (Desdémone) et surtout Michel Fau (Iago), puisque la relation privilégiée au cœur de la représentation est manifestement celle du Maure et de son enseigne, dans une conception somme toute assez traditionnelle de la pièce et du personnage du traître.