Le Journal du Dimanche · 14 mars 1999 · ÉRIC VIGNER

Le Journal du Dimanche · 14 mars 1999 · ÉRIC VIGNER
La Bretagne comme source d'inspiration théâtrale
Presse nationale
Avant-papier
14 Mar 1999
Journal du Dimanche
Tous droits réservés

Le Journal du Dimanche

14 mars 1999

Le théâtre de bord de mer d'ÉRIC VIGNER

« Les Bretons ont une culture de tradition orale. Si on enlève les livres, on n'enlève pas la culture »

"Ce qu'on fait à Lorient est inspiré par la Bretagne", se plaît à dire ÉRIC VIGNER, un des metteurs en scène "qui compte" dans le jeune théâtre français. Le Breton dirige le Théâtre de Lorient-Centre dramatique de Bretagne depuis1996. Son Marion de Lorme, adapté de Victor Hugo, créé au théâtre de Lorient puis présenté au théâtre de la Ville à Paris, a fait couler quelques litres d'encre. Et crisser les plumes de quelques critiques. Il s'en amuse. "Le théâtre demande d'être très cultivé, pour repérer beaucoup de signes, ou de ne rien savoir du tout. Il faut alors se lâcher, avoir une certaine naïveté." Né à Rennes, éric Vigner a vécu quinze ans à Janzé, tout à côté. Et dix ans à Paris, "en exil". Là-bas, il s'est toujours présenté Breton, "parce que ça veut dire quelque chose, intimement et culturellement."

Alors, quand en 1996, le ministère de la Culture lui propose de diriger un théâtre, il ne choisit pas le plus prestigieux, mais le plus à l'Ouest. "Je trouve normal de redonner à sa terre natale ce qu'on a cherché ailleurs. Ici, je suis heureux. Je me sens bien." Heureux dans sa maison du petit port de Lomener, terrain de rêve idéal pour nourrir sa création. "Les Bretons ont un pied dans l'imaginaire et un autre dans la réalité. Ils ont une culture de tradition orale, qui se transmet par les histoires que l'on se raconte. Ici, si on enlève les livres, on n'enlève pas la culture." Et si on enlève télé et cinéma, on enlève pas le théâtre... "La Bretagne est une région qui porte les artistes, Bretons ou pas. L'imaginaire pousse dans des tas de directions à la fois, et surtout pas dans une seule interprétation comme les images folkloriques voudraient le faire croire. Ici, on peut faire du nouveau avec de l'ancien."

Dans son fief lorientais, les "propositions" liées à la Bretagne sont permanentes. Pour lire Le funambule de Genêt, VIGNER réunit sur scène l'acteur Lambert Wilson et le sonneur Philippe Janvier "en fil conducteur, comme le joueur de flûte des légendes". Pour une lecture des Mémoires d'outre-tombe de Chateaubriand, il invite Annie Ebrel à chanter des gwerziou. Il ouvre aussi sa salle à ChristiAne Véricel pour qu'elle créée De Lorient à Pondichéry, avec des enfants des deux villes. Et propose au metteur en scène Stanislas Nordey de s'intéresser à Guillevic, le poète. Il invite également Éric Ruf, jeune comédien de la Comédie-Française, à travailler sa première mise en scène à Lorient. Cela donne Du désavantage du vent, imprégné de tradition maritime. "Il n'aurait pas pu monter cette pièce s'il n'avait été plongé dans notre imaginaire. Sa prochaine création s'appellera Les belles endormies, douze filles habillées de costumes noirs et de coiffes, atteintes de mélancolie, sentiment proprement breton."

ÉRIC VIGNER ne dissimule pas son plaisir d'être aujourd'hui une sorte de passeur entre la Bretagne et Paris, puisqu'il faut toujours passer par Paris... Et, en Bretagne, Lorient. "Lorient est à part. Son histoire, liée à la compagnie des Indes me fascine, avec ce rapport à l'autre, à l'ailleurs, qui donne le nom à la ville. Et puis il y a aussi Lorient détruite pendant la seconde guerre mondiale. C'est une ville qui doit se coltiner avec son passé pour construire son avenir. Voilà pourquoi la fonction de son théâtre y est hautement symbolique."

Comme est symbolique son projet, pour 2000, de monter Hiroshima mon amour de Duras, dans l'ancienne base des sous-marins. Ou de montrer Le Décaméron de BoccaCe, entre Lorient et Palerme. De toute manière, un de ses grands bonheurs, chaque été au festival d'Avignon, est d'entendre dire : "Tiens, voilà le Lorientais !"