La Tribune de Genève · 29 décembre 2000 · LA DIDONE

La Tribune de Genève · 29 décembre 2000 · LA DIDONE
Interview d'Éric Vigner.
Presse internationale
Avant-papier
Yaël Heche
29 Déc 2000
La Tribune de Genève
Langue: Français
Tous droits réservés

La Tribune de Genève

29 décembre 2000

ÉRIC VIGNER montre LA DIDONE avec flamme, mais sans bûcher.

L'oeuvre de FRANCESCO CAVALLI sera donnée à Lausanne en première suisse.

Directeur du Centre dramatique de Bretagne à Lorient, ÉRIC VIGNER s'est fait connaître en produisant L'ÉCOLE DES FEMMES à la Comédie Française en septembre 1999. Avec LA DIDONE, donnée dès le 31 décembre, le metteur en scène signe sa première réalisation lyrique, en collaboration avec le chef d'orchestre CHRISTOPHE ROUSSET. Un pari à la mesure de son talent, puisque l'opéra baroque n'est pas un répertoire facile à faire vivre. Rencontre avec un scénographe audacieux.

LTDG:  LA DIDONE est votre première réalisation dans le domaine de l'opéra. Pourquoi cette oeuvre?

E.V :  C'est une continuation logique dans ma carrière. Je n'avais jamais accepté de travailler pour l'opéra, même si on me l'avait déjà proposé. J'ai un rapport clair avec la musique. Il y a toujours eu des interprètes "live" dans mes mises en scène. Un quatuor à cordes dans L'ILLUSION COMIQUE. Un quintette dans MARION DE LORME. Nous sommes avec LA DIDONE aux débuts de l'opéra. Comme il y a essentiellement des récitatifs, les chanteurs doivent faire un gros travail sur le texte. L'oeuvre devient ainsi proche d'un théâtre chanté et donc de mes préoccupations.

LTDG: Quelle est la différence pour vous entre travailler à l'opéra ou au théâtre?

E.V : Le chanteur. Il a tendance à séparer son rapport au chant de son rapport au jeu. Ces deux éléments sont pourtant liés et les chanteurs devraient être formés en conséquence. L'autre différence est que dans l'opéra, tout est noté, à l'inverse du théâtre où il faut trouver la partition dans le texte. Textes et musique se rejoignent de toute façon, ce que les chanteurs ont parfois de la peine à comprendre. Je considère l'écriture comme une sorte de partition. Je m'efforce de montrer qu'il y a des notes dans l'alexandrin classique, ce qui fait par ailleurs souvent hurler les acteurs.

LTDG: Qu'est-ce qui vous attire dans Didone?

E.V : J'aime cet opéra dans son apparente pauvreté. Il n'y a pas d'action. Tout réside dans le texte. La notion de psychologie est absente. On raconte des histoires et le spectateur doit se déterminer. Il s'agit par conséquent d'une oeuvre ouverte. Le XIXe siècle nous a égarés avec son voyeurisme psychologique et son goût du spectaculaire. Je crois qu'il faut replacer le chanteur, l'humain, au centre et non pas s'en mettre plein les yeux.

LTDG: Votre mise en scène sera donc très simple.

E.V : L'opéra sera débarrassé des images formelles et de tout le décorum qu'on attribue au baroque. Je considère les chanteurs comme des personnes et non pas des personnages. Ainsi, JUANITA LASCARRO chante Didone et cela suffit. Il n'y a pas besoin d'en rajouter. Chaque spectateur pourra se raconter une histoire. Il aura une sensation personnelle. Quant au spectaculaire, il y en aura comme dans les mariages à la campagne, liés à la culture populaire.

LTDG: Que pensez-vous du livret de FRANCESCO BUSENELLO?

E.V : Il est très simple, à l'image de l'opéra. C'est du RACINE avant l'heure. Il se situe aux antipodes de tout baroque surchargé. BUSENELLO modifie la fin de l'intrigue. Normalement, Didone se suicide sur un bûcher. Ici, elle se marie avec Iarbas, un prétendant qu'elle refuse tout d'abord par fidélité à son défunt mari. Mais, à la fin, il a un discours qui fait de lui un héros. Elle retrouve le caractère qu'elle avait aimé en Enée et l'épouse. L'opéra a été créé peu après une épidémie de peste et cette fin heureuse était une façon de conjurer la mort.

LTDG: Quelle sera l'idée centrale de votre production?

E.V : La métamorphose, la naissance. La première partie nous raconte la destruction de Troie. Cela me fait penser à Auschwitz ou à Hiroshima. La seconde partie nous transporte en Afrique, un univers de femmes et d'amour. On retrouve Créuse sous les traits de Didone et Cassandre sous ceux d'Anne. Quant à Enée, il découvre son double en la personne de Iarbas. Tout l'opéra repose sur cette croyance que l'amour est un ferment suffisamment fort. pour faire renaître l'humanité.

LTDG: La date du 31 décembre pour la première est donc symbolique?

E.V : Absolument. Nous serons à cheval entre deux millénaires. Les derniers mots de l'opéra sont "espoir et vie". C'est un beau message pour commencer l'année..

Didon, Enée et CAVALLI, un trio très musical

L'opéra baroque est décidément à l'honneur en ce début d'hiver romand. Dès le 28 janvier, le Grand Théâtre donnera PLATÉE, le chef-d'oeuvre absolu de JEAN-PHILIPPE RAMEAU. Avant cela, l'Opéra de Lausanne nous propose une partition oubliée de CAVALLI. Il est toujours consolant de savoir que l'opéra baroque ne se limite pas à MONTEVERDI et HAENDEL !

Créé en 1641, LA DIDONE est l'un des 42 ouvrages lyriques du Vénitien FRANCESCO CAVALLI. Celui-ci fut d'ailleurs l'élève de Monteverdi et le librettiste de LA DIDONE, FRANCESCO BUSENELLO, écrivit également le texte du COURONNEMENT DE POPPÉE de son aîné. C'est donc une conjonction de talents qui préside à l'oeuvre montée sur la scène lausannoise.

Si l'opéra est symboliquement né à Mantoue en 1607, c'est à Venise qu'il a connu son essor. Il s'y est surtout ouvert au public en devenant payant avec la création des théâtres fixes. Dans cette ville, CAVALLI succéda à MONTEVERDI pour devenir la principale figure de la vie musicale de son temps.

Si le choix de CHRISTOPHE ROUSSET s'est porté sur LA DIDONE, c'est aussi en raison de son sujet: les amours de Didon et Enée. Le mythe virgilien ne cessa de passionner les musiciens, de CAVALLI à Berlioz en passant par PURCEL.