Le Quatrième · 15 janvier 2010 · SEXTETT

Le Quatrième · 15 janvier 2010 · SEXTETT
À partir d'une impeccable construction à l'esthétisme très tendance, SEXTETT explore, sous le couvert de l’absurde et du délirant, un certain inconscient collectif misogyne et réactionnaire lié à l'archétypal féminin, à partir d'une fable fantasmagorique surréelle.
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Critiques
Yves Rousseau
15 Jan 2010
lequatrieme.com
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Le Quatrième 

15 janvier 2010 · Yves Rousseau

Espace Go - SEXTETT, de RÉMI DE VOS

À partir d'une impeccable construction à l'esthétisme très tendance, SEXTETT explore, sous le couvert de l’absurde et du délirant, un certain inconscient collectif misogyne et réactionnaire lié à l'archétypal féminin, à partir d'une fable fantasmagorique surréelle.

Un jeune beigbederesque dandy publicitaire indolent, Simon, conduit par son aspirante copine Claire qui, amoureuse, s'incruste et s'accroche, se rend au domicile de sa mère décédée. Alors que Claire tente coûte que coût d'obtenir les faveurs de Simon, ce sur les cendres encore tièdes de la maman, ce dernier, sous le choc, sombre dans un délire, une demie-conscience envahie par un limbique univers peuplé de caricaturales, et archétypales figures féminines le convoitant libidineusement avec insistance, comme un rêve adolescent aux tournures parfois cauchemardesques : Claire, puis deux lesbiennes gothiques, une poupée gonflable et une chienne toutes deux mi-humaines s'offrent lascivement, violemment, dans toutes les couleurs du délire de potaches et psychanalytiques symboles et représentations : la charge des walkyries de l'inconscient en liberté...

Scénographie kitsch début 70's, grande ligne épurée, dans les tons de l'orange, jaune et rouge pastel sur fuchsia : côté jardin stores verticaux laissant deviner couloir décoré de papier peint avec motifs mur de pierre; au centre, vestibule surplombé par œil-de-boeuf octogonal (cubique); puis côté cour, coin frigo avec enclave en tapisserie post-shagadelic. L'ensemble forme unité longitudinale d'arrière-scène, donnant sur un proscenium avec tapis ras en motifs pop-art courbes, toujours dans les teintes précitées : un espace ceint de larges et longues marches arquées. Puis, éclairages parfaitement dans le ton, avec trame sonore lounge romantico-cinématographique tarantinesque tout aussi décalée. Les costumes rappellent : le début des années soixante, avec petite robe blanche style Courrèges et costume noir cintré à mince cravate Beatlesque, pour le couple; le new-wave alterno gothique année 80 pour les lesbiennes; et le porno vynilisé cheapo-kétaino-siliconé érotico-mocheton de camelote pour la catin.

Simon, c'est 2010 : un Dandy en élégie parodique de post-moderne vacuité hédoniste, d'arrivisme néo-libéralisant, de narcissisme en perpétuelle adolescence dans l'évitement systématiquement de toute forme d'engagement et maturation, avec défense d'inconsistance-refuge chronique - toujours le petit gars à sa maman sous un lien œdipien glauque, étouffant, et limite inceste, contourné, mais pas remis en question, puis identité sexuelle floue, malléable, comme la plupart des protagonistes. La mort de la mère semble se traduire par une inadmissible libération coupable trouvant exultation du conflit psychique dans le rocambolesque oniriquo-érotico-fantasmagorique, suite à sa pseudo décompensation post-symbiotique.

D'où le défilement en bombardement d'archétypes féminins, où défoulement misogyne sous le clin d'œil de potache satire croise une représentation pulsionnelle délirante, incarnée dans tous les excès par ces figures : la mère, la vierge et la putain et tutti quanti. Défilant en incessante parade, tant les gothiques s'excusant perpétuellement (entre leur prise de bec au langage hardcore) du massacre du jardin par leur chienne terrier Valkyrie en "chantant", entre autres, d'expiatoires lieder de Schubert, tant cette même pulsionnelle chienne à tête de femme (si tu t'arrêtes, je te tue... dixit On baise — l'animalité à l'état pur) que cette catin plastifiée Marie couche toi là, et tant cette copine à robe immaculée, ne vivent que pour une chose : s'offrir avec insistance comme véritable pot de colle en mantraesque "baise-moi" au puéril, hésitant, et incertain Simon, qui lévite dans les miasmes coupables des ruines du judéo-christianisme dans les vapeur de son red-light personnel.

Festif, ludique, léger totalement frivole, cette fameuse vacuité post-moderne est servie avec ironie en se vautrant avec cynisme espiègle dans l'esthétisant très petit-bourgeois : pas le bourgeois guindé, daté et provincial, mais celui du jeunisme tendance branchouille, techno, cool, poseur, dégoulinant d'urbanité et d'éclectisme affecté. La pièce, à l'image de ce dont elle se moque, est gonflée du même substantifique air du temps dans toutes les errances de la vacuité.

À partir d'un jeu distancié, l'action est chorégraphiée comme une parodie de ballet sur glace croisée de stand-up en aparté, avec comme particularité que la glace est ici tapis, et le patinage devient glissade obséquieusement stylisée (comme le reste) de maniérisme précieux et de simagrées corporelles aux raffinements potaches et totalement surfaits.

À l'intérieur des règles du style, la performance des comédiens est certes impeccable, imbue de toute la désincarnation psychoïde nécessaire à cette errance limbique déréalisée et fiévreuse de dépersonnalisation. On remarque un travail de masque important pour les personnages de la catin (Johanna Nizard) et de la femme à tête de chien (MARIE- FRANCE LAMBERT), certes très réussi.

La mise en scène, réglée au quart de tour, découle d'une précision implacable, telle une drille militaire déjanté et participe (du point de vue méta) de l'enfermement des personnages dans les frontières étanches du conflit psychique.

L'objet théâtral est amusant, cocasse, surréel et mâtiné d'humour absurde tant visuel que textuel, pas du tout érotique, et malgré un certain léger enlisement en portion deuxième, cela peut-être distrayant, parfois rigolo. Plusieurs pourraient par contre s'étonner de la "substance" vraisemblablement non engagée, essentiellement récréative et, même sous le couvert de la dérision et de la farce, peut-être assez misogyne, du moins si pris au premier degré : comme s’il existait un décalage culturel entre la France et le Québec, avec pour l'un, un humour vraisemblablement suffisant pour dédouaner la pièce de ses effets (sexistes ?) et la cautionner d'un certain pseudoféminisme très vague et éludé, et pour l'autre une farce certes de forme irréprochable et rigolarde, mais très mièvrement mise au service d'une quelconque substance et encore moins favorable à une quelconque cause féminine. Certains pourraient trouver adolescente et douteuse l'image de la femme qui y est charriée malgré tout l'éclectisme conceptuel et la caution de dérision humoristico-artistique esthétisante et branchée qu'on s'efforce d'y apposer. Un véritable ovni dans le ciel dramaturgique du TEF?

Un bon morceau de désert théâtral contemporain, à la plastique impeccable : des calories vides?