Ouest France · 11 mai 2006 · PLUIE D'ÉTÉ À HIROSHIMA

Ouest France · 11 mai 2006 · PLUIE D'ÉTÉ À HIROSHIMA
Au bout du compte, tout se confond.
Presse régionale
Critique
Jérôme Gazeau
11 Mai 2006
Ouest France
Langue: Français
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Ouest France

11 mai 2006 · JÉRÔME GAZEAU

PLUIE D'ÉTÉ à Hiroshima : deux pièces en une

Il y a LA PLUIE D'ÉTÉ et HIROSHIMA MON AMOUR de MARGUERITE DURAS. Et PLUIE D'ÉTÉ à Hiroshima par ÉRIC VIGNER. Au bout du compte, tout se confond.

Il est rare d'être spectateur et de se retrouver assis sur la scène du Grand Théâtre. Assis? D'accord. Mais sur la scène, il y a une autre scène, surélevée. Avec des trous. Des trous de bombes? Des trous dans les textes de MARGUERITE DURAS? En tout cas, des trous d'où surgissent et dans lesquels disparaissent les comédiens. Ils sont six au départ de la pièce. Chacun tient un livre en main. Le même : LA PLUIE D'ÉTÉ, un texte écrit par MARGUERITE DURAS.

L'histoire d'un gosse de 12 ans qui ne veut pas aller à l'école. Pourquoi ? "Parce qu'on m'apprend des choses que je ne sais pas." L'argument est irréfutable, et toute la pièce tourne autour de cette énigme qui n'en est pas une. ÉRIC VIGNER connaît le texte. Il l'a déjà transposé sur scène en 1993. Treize ans plus tard, il le reprend avec une seule actrice de la première aventure, Hélène Babu - magnifique !- et une bande de jeunes acteurs épatants, notamment celui qui tient le rôle phare d'Ernesto. Alternativement, ils lisent le texte et le disent avec une jubilation rentrée qui fait plaisir à entendre.

Son décor, VIGNER l'a conçu comme la piste d'un défilé de mode. Mais le texte de DURAS ne semble pas avoir d'âge, tant l'auteur fouille les origines de la connaissance avant de s'interroger - et nous interroger - sur la pertinence de l'instruction o-bli-ga-toi-re. Rien que pour ça, la pièce mérite le déplacement. Attention, les places sont contingentées: pas plus de 256 spectateurs à chaque représentation.

Première fois au théâtre

Une fois LA PLUIE D'ÉTÉ passée, après l'entracte, c'est le tour de la pluie noire d'Hiroshima, avec son cortège d'ombres et de corps décharnés, silhouettes déformées et silencieuses rescapées du cataclysme nucléaire. Changement d'ambiance à défaut de décor. C'est la première fois que le texte - travaillé pour un film - crève l'écran pour atterrir sur une scène de théâtre. Le long-métrage réalisé par Resnais en 1959 ne s'oublie pas facilement, et le défi d'ÉRIC VIGNER est de le faire oublier pour "inventer autre chose". Le pari est en partie gagné. En matière de décor, l'utilisation de portes coulissantes en plexiglass permet de suivre l'histoire au travers de prismes colorés et remplis de "trous de mémoire". C'est bien ici le sujet principal : la mémoire et l'oubli de l'innommable, de l'indicible, que ce soit la destruction d'Hiroshima par la première bombe atomique de "l'humanité" ou le calvaire vécu par une fille de Nevers coupable d'avoir aimé un soldat allemand, pendant l'Occupation.

Atsuro Watabe campe un Japonais transi, désespéré, amoureux fou. L'acteur parle un français approximatif - mais très compréhensif - qui le rend fragile, donc touchant. Jutta Johanna Weiss, elle, apparaît dans toute la complexité de son personnage, vamp amoureuse et sensuelle d'un soir, avant de devenir la femme poursuivie par son passé. Il n'empêche, l'émotion a beau filtrer régulièrement sur la scène du Grand Théâtre, celle du film de Resnais revient en mémoire. Et paraît plus forte.