L'Humanité · 13 juillet 2006 · PLUIE D'ÉTÉ À HIROSHIMA

L'Humanité · 13 juillet 2006 · PLUIE D'ÉTÉ À HIROSHIMA
L'ensemble laisse une impression hasardeuse, d'inachèvement et de disparate au plan esthétique.
Presse nationale
Critique
Jean-Pierre Léonardini
13 Juil 2006
L'Humanité
Langue: Français
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L'Humanité

13 juillet 2006 · Jean-Pierre Léonardini

DURAS sur le mode épique

ÉRIC VIGNER a tressé la Pluie d'étéHiroshima mon amour, deux textes de Marguerite Duras. C'est hasardeux.

Éric VIGNER, qui dirige le Théâtre de Lorient (Centre dramatique national) présente Pluie d'été à Hiroshima. Deux textes de Marguerite Duras, la Pluie d'été et Hiroshima mon amour y sont donc tressés.

UN ESPACE A CIEL OUVERT RETRAVAILLÉ

Le premier avait déjà fait l'objet, il y a des années, d'une très belle mise en scène d'ÉRIC VIGNER. C'est même au vu de ce travail que Marguerite Duras avait tenu à lui donner les droits d'Hiroshima mon amour. Dans l'espace à ciel ouvert retravaillé (dispositif visuel dû à ÉRIC VIGNER et au groupe de graphistes M/M), soit un sol blanc semé de taches noires et bleues, avec des trous pour apparaître et disparaître, les spectateurs étant pour l'essentiel de part et d'autre du plateau, les comédiens, jeunes (Hélène Babu, Bénédicté Cerutti, Thierry Godard, Nicolas Marchand, Marie Éléonore Pourtois, Thomas Scimeca) se meuvent sur une aire vaste. Ils ont parfois le livre en main pour relater, non sans distance, l'étonnante existence de cette famille habitant Vitry, dont l'un des enfants, Ernesto, affirme sans broncher: "Je ne retournerai pas à l'école parce que, à l'école, on m'apprend des choses que je ne sais pas." Il a néanmoins, sans avoir jamais appris à lire, accès à l'Ecclésiaste et deviendra un savant réputé...

C'est une fable adorable, insolente, semée de surprises d'ordre littéraire et social, non loin par instants de la délicatesse saugrenue de Gertrude Stein. D'être proférée à la cantonade, sur un mode presque épique, il me semble qu'elle perd de son sel, lequel tient à un creusement progressif de l'écorce intime du langage.

UNE ÉVOCATION SONORE PROLONGÉE

Là où l'on souhaiterait un resserrement, on n'a plus qu'une dilution généralisée, un grossissement du trait. On donne de la voix, on enfle les effets. Cela devient quasi acrobatique avec, en prime à un moment donné, le premier couplet de la chanson de Souchon, Allô, maman bobo. Immédiatement collée à cela, la partition sonore du film d'Alain Resnais ranime soudain la flamme du souvenir brûlant par la voix d'Emmanuelle Riva sculptant les mots de cette histoire d'amour et de mort enlacée à l'Histoire (la guerre, l'Occupation, la bombe atomique).

Cette évocation sonore, quelque peu prolongée, nous ferait croire que VIGNER va inventer une sorte de play-back théâtral, de karaoké gestuel, jusqu'à ce que, finalement, Jutta Johanna Weiss et Atsuro Watabe prennent vaguement corps en lieu et place des fantômes du film. Pas facile de s'immiscer de la sorte dans des mots si lestés de sens par d'autres, en une vie antérieure de l'oeuvre qu'on sait bouleversante. L'ensemble laisse une impression hasardeuse, d'inachèvement et de disparate au plan esthétique.