Le Nouvel Observateur · 2 avril 1992 · LE RÉGIMENT DE SAMBRE ET MEUSE

Le Nouvel Observateur · 2 avril 1992 · LE RÉGIMENT DE SAMBRE ET MEUSE
Sept personnages qui essaient de faire du théâtre un acte de résistance.
Presse nationale
Avant-papier
Ruth Valentini
02 Avr 1992
Le Nouvel Observateur
Langue: Français
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Le Nouvel Observateur

2 avril 1992 · Ruth Valentini

La guerre en scène

Une troupe de jeunes comédiens, mis en scène par éric Vigner, revisite conflits qui ont secoué la planète.

Il y a tout juste un an, en janvier 1991, Éric Vigner avait squatté une matelasserie désaffectée à Issy-les-Moulineaux pour y monter la Maison d'os de Roland Dubillard. Ce jeune metteur en scène (il a 30 ans) nous propose une nouvelle création, avec sa compagnie Suzanne M., le Régiment de Sambre et Meuse.

L'idée du spectacle a pris forme alors que la troupe mettait la dernière main à la Maison d'os, en pleine guerre du Golfe. Tard dans la nuit, la petite bande se regroupait autour de la télévision ou de la radio pour suivre l'évolution du conflit. Pour eux, la guerre n'existait alors que par la littérature, le cinéma, la mémoire des autres... Ainsi est née une fiction pour sept personnages - comme les Sept Samouraïs - qui, quelque part dans un monde où la guerre est quotidienne, essaient de faire du théâtre un acte de résistance. Le texte est un montage d'écrits de Courteline, Genet, Allais, Céline évoquant la guerre.

Trois lettres que le peintre allemand Franz Marc, fondateur avec Kandinsky et Klee du Der Blaue Reiter (le Cavalier bleu), avait adressées à sa femme servent de fil conducteur à l'ensemble. Au front, à Verdun (où il meurt en 1916), l'artiste s'interroge sur le devenir de son oeuvre : "Je sens si fort l'esprit présent derrière chaque balle que le réel, le matériel disparaît tout à fait [..]. Mes oreilles sont sourdes, trop saturées par le bruit, pour parvenir à entendre le véritable langage des choses [...]. Quand pourrai-je peindre à nouveau?"

"Dans notre monde fragmenté tout fout le camp", constate ÉRIC VIGNER. "Je suis incapable de faire une dramaturgie classique, ou du divertissement. Mon théâtre ne ressemble pas à la télévision, il est poétique et spatial. Je cherche à troubler les spectateurs, à les impliquer physiquement, en détruisant le rapport salle-plateau."

Cette fois, les conditions de création n'avaient rien à voir avec celles d'une usine désaffectée : Jacques Blanc, le dynamique directeur artistique du Quartz à Brest, avait convié les acteurs "en résidence". ÉRIC VIGNER et sa compagnie s'étaient donc installés "dans le meilleur des mondes", à savoir le confortable manoir de Kéroual, patrimoine brestois du XVIIIe siècle aux allures de Villa Médicis. Là, ils ont peaufiné leur spectacle en toute quiétude. Et avant de le présenter à Aubervilliers, ils l'ont offert au public fort curieux et réceptif de la cité des Ponants, reconnu majeur puisque parfaitement associé aux risques de l'inédit !

***

Ce spectacle, né avec la guerre du Golfe, réunit sept acteurs qui se retrouvent en secret dans un théâtre désaffecté alors que les combats rythment le quotidien. Un acte de résistance conçu par un jeune metteur en scène révélé avec la Maison d'os au dernier Festival d'Automne.