Gai Pied Hebdo · 17 octobre 1991 · LA MAISON D'OS

Gai Pied Hebdo · 17 octobre 1991 · LA MAISON D'OS
Un spectacle à prendre de front.
Presse nationale
Critique
Patrick Gourvennec
17 Oct 1991
Gai Pied Hebdo
Langue: Français
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Gai Pied Hebdo

17 octobre 1991 · PATRICK GOURVENNEC

S'en fout la mort

Un homme meurt dans sa riche demeure, entouré d'une bande de domestiques qui s'en contrefichent. Du Dubillard rigolard.

Une pièce qui en soit vraiment une, c'est-à-dire une pièce à visiter, voilà qui a de quoi réveiller les spectateurs fatigués du théâtre narratif. Une pièce conçue comme une authentique maison, et l'auteur en guide, voilà le défi relevé par Roland Dubillard, un des tenants du "théâtre de l'absurde", dans sa Maison d'os. Nulle temporalité, en apparence, puisqu'il s'agit de la mort, et rien qu'un espace destiné à recréer l'univers intérieur en déroute des hommes, rien qu'un lieu "vertical".
Une affaire de mort, "une pièce sur l'abandon de la mort", disait Dubillard, une pièce sur ces moments uniques où les autres dansent sur votre ventre et s'acharnent à trouver votre soudaine grandiloquence tout à fait ridicule. Un homme meurt, donc, dans sa riche demeure, à l'écart du monde, entouré d 'une bande de domestiques qui s'en contrefichent. Vigner, le metteur en scène, fait parler le "côté maître" en premier; aux valets est réservée la seconde partie, libre agencement qui ne nuit en rien à la pièce de Dubillard, le rigoleur.
La chose fut présentée en 1962 au Théâtre de Lutèce, puis plus rien depuis: les réflexions sur le vide et la mort ont toujours effarouché. L'hiver dernier, au plus froid du mois de février, Vigner en présenta sa propre version, tonique s'il en fut, dans une manufacture de matelas, entre cave et grenier. Public conquis, critiques enthousiastes. L'aventure est reprise aujourd'hui dans le socle de la Grande Arche de la Défense; pari qui n'effraie pas ces vingt-deux comédiens qui ne ressemblent et n'appartiennent à rien ni personne: manière, aussi, d'inscrire cette pièce dans un lieu plus symbolique encore, plus ouvert et vertigineux, que le précédent.
La verve du mourant pourra y trouver des échos plus inquiétants, avec ses perspectives d'éboulement de tout l'être, de décrépitude sans pathos. Car on en rit, de cette infernale danse de mort où des valets trop vivants font la nique au bavardage d'un mourant, aux limites de ce que le langage peut pour nous. Un spectacle à prendre de front.