La Marseillaise · 4 avril 2009 · DÉBRAYAGE

La Marseillaise · 4 avril 2009 · DÉBRAYAGE
Tout percute dans cette plume trempée d'acide et de doubles sens.
Presse régionale
Critique
Denis Bonneville
04 Avr 2009
La Marseillaise
Langue: Français
Tous droits réservés

La Marseillaise

4 avril 2009 · Denis Bonneville

Corvéables merci !

Présenté par la Criée à la Friche Belle de Mai, Débrayage est mis au plateau par un ÉRIC VIGNER qui a su s'appuyer sur une bande d'ébouriffants jeunes acteurs. Beau travail...

Le plateau de la Cartonnerie, où le théâtre de la Criée, toujours en travaux, a fait migrer ce Débrayage, rappelle le Dogville de Lars von Trier aussi bien qu'une partie de morpion. Et, de fait, cette pièce à sketches signée Rémi De Vos (La Marseillaise du 1/4), portée par 14 jeunes comédiens dirigés par ÉRIC VIGNER, oscille entre le drame ultime et le jeu de rôles, le divertissement absurde et la métaphysique.

Cadence infernale

Écrites au cordeau, les 13 saynètes s'enchaînent sans malheur, de pinacles en chutes, inattendues, décalées : Thérèse qui devra défaire les valises pour que Jérôme fasse d'obligatoires heures sup, Catherine et Mariette aux prises avec un chefaillon qui mégote sur les horaires de départ et d'arrivée, Jean-Louis en pleine crise d'angoisse paranoïaque sur sa capacité à "l'allégeance au système" et sa tendance à être éventuellement "réfractaire au management participatif", ou encore cette DRH nymphomane du parc d'attractions Aquaplouf qui tente de faire un choix entre un ex-Schtroumph costaud et un Donald qui en a "marre du canard", le séducteur de bouche de métro qui a un ticket avec la caissière, les deux basketteurs bling bling qui s'interrogent sur la mort de Marx en chantant le California Dreamin' des Mammas & the Papas, cette tribu de dames qui dissertent sur les Halles et Saint-Germain-des-Prés où "l'existentialisme n'intéresse plus que les commerçants et les promoteurs immobiliers "... Tout percute dans cette plume trempée d'acide et de doubles sens, intemporelle au point, même si Chirac ou Tibéri ne sont plus à la mairie de Paris, et si l'Abbé Pierre est depuis longtemps passé dans un éternel hiver, qu'on oublie qu'elle remonte à 1993, tant elle résonne avec les flashs d'infos de ce matin ou le "travailler plus pour gagner plus" de Sarkozy.

Débauche et mécanisations

Mais si tout percute et fait mouche, ce n'est pas seulement grâce à la langue, vénéneuse et donc dangereuse, de De Vos, qui passe en un tournemain de la boutade irrationnelle ("Mon psy est lacanien mais il ressemble à un nain de jardin") à la plus trash des réalités (harcèlement moral, dépression, suicide) ou d'amers constats ("Quand tout est à crédit, on ne peut pas faire grève"), et inversement ; il fallait, pour faire ces grands écarts-là, et pousser la démesure et la caricature à prendre vie, la folie et l'imagination d'un ÉRIC VIGNER - dans un déluge de perruques, de talons hauts et de couleurs -, ainsi des toutous téléguidés, des entrechats rêvés et des pantomimes automatisées, qui pullulent dans cet opus très chorégraphié. Il fallait surtout la fougue et l'énergie des comédiens ; VIGNER les a trouvés, dans un groupe d'élèves-acteurs de la Haute école de théâtre de Suisse romande à Lausanne, aussi ébouriffants qu'ébouriffés, aussi rebelles que dociles, et aussi excessifs -géniale composition de Laetitia Dosch en fonctionnaire éméchée - que le monologue final - porté par l'hypnotisant Adrien Rupp - s'avère glaçant. L'art au travail, quoi...