Cassandre · Septembre 97 (suite) · COMMENT CELA SE FAIT-IL?

Cassandre · Septembre 97 (suite) · COMMENT CELA SE FAIT-IL?
"Qu'est-ce qu'un théâtre de la langue ? Un compagnonnage ? Un acte de transmission ?"
Revue spécialisée
D.L.
Sep 1997
Cassandre
Langue: Français et anglais
Tous droits réservés

Cassandre 

Septembre 97 · DL

La douce chaleur du foyer

Avec Éric Vigner (Compagnie Suzanne M.) et les compagnies - choisie - La Luzège (Philippe Ponty, Limoges) et - alliée - Faits Divers/Theâtre ensemble (Lionel Monier, Nantes).

ÉRIC VIGNER a choisi de transmettre, avec la mémoire de ses oeuvres, celle de ses origines bretonnes et, si l'intitulé de son acte pose avec une feinte naïveté la question empruntée à Paul Auster, "Comment cela se fait-il ?", la réponse est sur I'affiche. Des plumes Sergent-major évoquent la "langue des théâtres" et côtoient des brindilles - lointains rejets des racines - comme autant de baguettes de sourcier. Voilà ce qu'il se veut, l'enfant du pays entouré de sa famille, pour recevoir ses amis et les autres. (...)

Le son conjugué du talabarder et de la cornemuse convoque les invités, annonce les stations, tisse le fil du jour : le Domaine, théâtralisé, se prête à cette (re)présentation de la mémoire d'un (jeune) metteur en scène après que la grande officiante ait offert au maître de cérémonie un bouquet de tournesols. La procession avance jusqu'au portail ruiné d'où surgit Jacques Verzier : "N'importe quel endroit est le bon si c'est par lui qu'on est entré !" Ainsi s'ouvre la crypte de cette mémoire, par ce passage de La Maison d'os de Roland Dubillard, sa première mise en scène mémorable. On progresse dans le cimetière des oeuvres : sous des plaques tombales gisent les textes qu'un acteur donne à la mémoire des spectateurs puis, symboliquement, à l'oubli, dans une pétarade de 14 juillet. Mais on ne se débarrasse pas si vite de ce qui habita une décennie d'artiste, les cadavres ressuscitent : l'habitation regorge de documents, vidéos, photos - traces indélébiles laissées au "dur désir de durer". Les crêpes de la tante viennent ensuite ragaillardir ou assommer, avec le cidre, les corps amollis par un enterrement sans mort et le musée d'Éric.

À dramatiser ainsi les espaces du château et les temps de l'hospitalité, la mémoire s'effiloche, s'endort, parfois, dans l'herbe du potager. Et le théâtre ?

Les compagnons en disent, un peu, Vassiliev en parle beaucoup. Mais chacun sent qu'il a filé à la bretonne, "prétexte vertu des mots de DURAS et de Vassiliev, d'un lieu d'histoire et de culture - le Domaine de Kerguehennec -, d'une procession solennelle au coeur de sa mémoire personnelle, vise aux retrouvailles de ses propres sources, et l'inhumation officielle de ses créatures scéniques dans le terreau fécondé. Ainsi germent les semences.

Il suffit de parcourir le programme : Dans mon jardin... Dans ma maison... Dans le potager... Proustien, il jonche l'espace-temps de traces qu'il laisse au hasard le soin de re(s)-susciter. Le hasard l'a conduit à support fragile de la tradition, moyen "insuffisant" de la transmission, moment comme un autre de la mémoire de l'hôte. Le mariage de la tradition et du théâtre en un lieu de privilèges se poursuit dans le petit salon chaussé de Louis XV pour un concert privé - mélodies de Fauré, soprano et piano - dont la théâtralité n'a plus à voir qu'avec les traditions de l'aristocratie provinciale. L'adieu modulé sur un texte d'Aperghis suit Le Grand Récit, mémoire filmique du Centre d'art contemporain de Kerguehennec. La forme n'a-t-elle pas piégé celui qui incitait à l'autocélébration et à la fête plus qu'à la pédagogie ? La journée conviviale, un tantinet fin de siècle et fort bretonnante, rappelle ces fêtes que Rousseau préférait au théâtre, coupable de morceler la vie humaine. Bref, elle donne à penser.

Quelle réponse, à Kerguehennec, aux questions soulevées : "Qu'est-ce qu'un théâtre de la langue ? Un compagnonnage ? Un acte de transmission ?" Celle qui consisterait à considérer toute contrainte comme une règle à transgresser, et la tradition comme un édifice à construire selon soi, au nom de la liberté créatrice.