Blog Les 3 coups · 30 octobre 2009 · SEXTETT

Blog Les 3 coups · 30 octobre 2009 · SEXTETT
Une comédie profondément débridée, contemporaine, grand public, divertissante et originale.
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Lorène de Bonnay
30 Oct 2009
Blog Les trois coups
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Lorène de Bonnay · 30 octobre 2009

« SEXTETT », de Rémi DE VOS Théâtre du Rond-Point à Paris

Une comédie profondément débridée

« SEXTETT », joué au Théâtre du Rond-Point, est la quatrième collaboration entre l’auteur RÉMI DE VOS et le metteur en scène ÉRIC VIGNER. La pièce est la suite de « Jusqu’à ce que la mort nous sépare », montée en 2006 avec Catherine Jacob, Micha Lescot et Claude Perron : un jeune homme, Simon, revenait dans la maison de sa mère avec l’urne contenant les cendres de sa grand-mère maternelle. Dans « SEXTETT », ce même Simon vient d’enterrer sa mère et essaie de ranger sa maison. Il se trouve alors confronté à cinq figures féminines : des personnifications du désir. Une pièce étrange au ton inédit. Très réussie.

« Maman est morte », et Simon doit faire son deuil. Dans la maison de Madeleine, il recherche d’abord la solitude et le silence, avant de réaliser que ce face-à-face avec la mort exacerbe son énergie vitale. SEXTETT aborde donc un thème commun, Éros et Thanatos, mais avec une écriture parfaitement originale.

Déjà, la scénographie plonge le spectateur dans un univers fantasmatique. Le décor – une maison rouge, dans le style kitsch des années 1970, donnant sur un jardin – se trouve envahi par le bruit, la musique et des créatures libidineuses. L’espace scénique regorge de murs, cloisons, rideaux permettant d’entrer, sortir, disparaître ou se cacher. Des escaliers permettent aussi de créer deux niveaux : le parterre et l’estrade. Hors champ se trouvent deux lieux tabous : la chambre de la mère et le jardin-cimetière. Le sanctuaire maternel devient ainsi le théâtre des désirs de Simon, la représentation de son inconscient.

Les personnages qui composent cette hallucination sont à la fois étranges, délirants et familiers. Simon est assailli par des femmes vêtues en noir ou blanc : sa collègue Claire, qui ne cesse de l’interroger sur sa sexualité, une ex-bimbo siliconée (en vérité un transsexuel au masque de silicone), deux voisines homosexuelles qui chantent Schubert ou Caetano Veloso, et leur chienne Walkyrie. Ces cinq fantômes du passé ou du présent qui se succèdent sur scène incarnent un désir de plus en plus angoissant, violent et déjanté : Jane enlève ses deux petites culottes parce qu’elle a chaud, Claire attend de se faire engrosser dans la chambre, la chienne est sur le point d’être sodomisée... La représentation de tous ces fantasmes délivre des vérités sur les origines familiales de Simon, son identité, son devenir : son père a tué sa mère après sa naissance et s’est fait passer pour elle en devenant transsexuel ; son grand-père avait fait la même chose avec sa grand-mère... Simon fera-t-il la même chose avec Claire, comme dans une tragédie grecque ? Ce mélange, dans une même pièce, de profondeur et d’exagération délirante est rare. La présence de la musique et du chant, qui échauffe le sang ou émeut aux larmes, participe de cette heureuse discordance.

Surtout, SEXTETT est servi par six comédiens exceptionnels, aux origines culturelles diverses, capables de jouer, surjouer, danser ou chanter. Tous composent sur scène un orchestre (un « sextet ») d’un genre inédit, mi-réel, mi-imaginaire. Micha Lescot, pour qui la pièce a été écrite, campe notamment un Simon à la fois caricatural et insaisissable : un gay au corps fluide et longiligne, passif et apathique, qui écoute Purple Rain, se déhanche derrière un micro et se pâme devant les femmes, mais aussi un jeune homme dans tous ses états, ambigu, et qui assume avec une singulière distance sa filiation. La performance des actrices, transformées en Érinyes ou oracles modernes, est également remarquable.

La pièce s’offre donc comme une comédie moderne, avec sa gestuelle, ses costumes, ses masques, ses lazzi. Elle mêle avec talent et intelligence le rire au sérieux et au rêve. Contemporaine, grand public, divertissante et originale : voilà qui n’est pas si courant.