Note d'intention · Mathias Augustyniak · M/M (Paris)

Note d'intention · Mathias Augustyniak · M/M (Paris)
Visuels de saisons
Note d’intention & entretien
Mathias Augustyniak
Juin 2010
CDDB-Théâtre de Lorient
Langue: Français
Tous droits réservés

Note d'intention · MATHIAS AUGUSTYNIAK - M/M

Paris, juin 2010

Comme chaque année, je participe à la création de l’affiche de saison du théâtre de Lorient. Cette affiche est à l’habitude une image qui donne la parole à la saison en annonçant un spectacle créé et mis en scène par ÉRIC VIGNER. L’affiche de saison est rejointe en cours d’année par des affiches qui annoncent les créations, des spectacles produits et fabriqués à Lorient.

L’hiver dernier, j’ai dénombré 52 affiches. La nouvelle année approchant, nous avons eu l’idée de concevoir un jeu de cartes dans lequel chacune des figures est une affiche. 52 cartes de jeu puis de voeux ; j’aime cette idée chère à Mallarmé de ne jamais abolir le hasard mais pas seulement avec des coups de dés. Cette année l’affiche de saison n’est liée à aucune création. C’est une image libre de toute contrainte « annonciative ». Elle ne communique rien. Elle est un personnage possible d’une narration possible. C’est une image à prendre ou à laisser. Elle est l’autre de l’autre, de l’autre côté du miroir, de la rivière, de la mer ou de n’importe quelle surface réfléchissante.

Alors j’ai décidé de vous en livrer la chanson, la musique intime que j’ai écrite pour elle et qui j’espère vous fera geste pendant toute la saison.

Départ en transport amoureux.

Partir loin c’est revenir peut-être.

J’ai pensé à POUSSIN ce matin, MAURICE PIALAT a parlé des ciels de POUSSIN je crois. Je me sens écrasé en apesanteur démantelé comme si j’avais eu un accident dans une voiture capitonnée.

Je me souviens des médiocres scènes de film de fabrication française dans les commissariats de police où le commissaire expérimenté apprend à la jeune recrue à molester le suspect avec un bottin téléphonique. Cela fait mal mais cela ne laisse pas de traces. Cette sourde douleur sans signifiant me rappelle aux RIPOUX, et à PHILIPPE NOIRET portant une moustache et une veste en cuir d’une drôle de longueur, j’ai peur.

Je suis temporairement un pont brisé qui n’arrive plus à relier les rives du désir et de l’envie. Dériver sur l’eau du fleuve qui s’écoule lente entre les piles du pont m’apparaît alors comme la seule solution.

Flash backwards, l’histoire commence incertaine de part et d’autre d’une rive, où j’aperçois dans le clair obscur de la lumière reflétée par le bouillon d’un liquide cristallin qui circule à grande vitesse, mon double en reflet miroir. Ce double est dans le futur idéalisé et moi dans le passé idéalisé. À la vieillesse souhaitée je renvoie l’adolescence attardée réhabitée. C’est le flux mouvementé d’une histoire que l’on rêverait contraindre à deux afin de révéler l’autre à son entier désir, celui qui fait que le haut et le bas du corps articulé par des os ne fait plus qu’un.

Je cours lorsque j’ai déjà trouvé, à l’endroit même où j’ai trouvé déjà.

Un autre matin en marchant vers l’endroit où j’aime m’endormir quand la nuit tombe, j’ai croisé une très belle image d’HENRI MICHAUX faite par BRASSAÏ. En fils de double professeurs de dessin j’ai toujours détesté HENRI MICHAUX jusqu’au jour où, de moi-même, j’ai découvert où se situait sa folie et son désir que mes parents avaient pris soin de cacher ou plus précisément de ne pas exhaler par peur que je m’écarte du chemin des sages écoliers. Je revois et regarde encore toutes les choses que j’ai déjà croisées en bon élève et dans lesquelles mes parents professeurs dérobaient le double fond avec beaucoup de science perverse mise au point par souci de rentabilité pédagogique. Je ne leur en veux pas car c’était leur métier.

La seule chose dont je leur en veux peut-être c’est de ne jamais avoir affronté le véritable John Rambo à l’échelle humaine caché en moi.

Je pense un pour aimer deux et je veux être deux et n’aimer qu’un. En aimant un et en pensant deux j’aime me laisser la liberté et le plaisir d’être enfin un cancre car j’aime au plus intime le son et les vibrations des rires de l’un, juste à l’endroit dans mon coeur libre où cet autre un me laisse aller décontraint.

Perdre sa voix c’est avoir plus de temps pour ne dire rien, le souffle des mots a alors la consistance du coton et sans tige il s’enfonce doucement dans l’oreille de l’interlocuteur interloqué par cette intimité.

Je négocie cérébral en neurone reculé la manipulation du silence du désir suspendu, je pense au cheval qui court une fin de course ou le début d’une autre à travers un terrain où les herbes se couchent à l’intérieur d’une rivière dans l’ouverture de SOLARIS de TARKOVSKI. Je comprends l’importance du trait d’union qui relie deux pleins intenses au-dessus du grand vide généré par le plein en absence.
J’ai pendant une nuit récente dessiné un trait d’union que j’ai refusé de dessiner depuis un mois ; il vient coïncider à mon envie de traverser le temps en équilibre vertigineux pour retrouver le présent en plein.

Oublions toutes les terminaisons nerveuses et de vocables, mettons de côté tous les commencements sentimentaux et leur triste fin, les débuts privatifs ou a-privatifs devant les mots ou l’arrière des prénoms. Soyons tuyaux, réseaux, veines et capillaires puis laissons circuler le fluide heureux de l’échange intime pour n’être que transport. Transpirons-nous et remontons à l’air libre pour se respirer en symétrie jusqu’à l’enivrement après avoir traversé les humeurs vitreuses aqueuses le derme et l’épiderme.

La révolution c’est faire le tour des choses, la fatigue n’est pas liée à la révolution mais à la dimension du territoire de son application. À territoire circonscrit révolution réussie et sans fatigue aucune.