Entretien ÉRIC VIGNER et MICHA LESCOT · RFI Culture Vive · SEXTETT

Entretien ÉRIC VIGNER et MICHA LESCOT · RFI Culture Vive · SEXTETT
Radio France Internationale (RFI) Émission : Culture vive
Couverture radio
Pascal Paradou
2009
RFI - Radio France Internationale
Langue: Français
Tous droits réservés


SEXTETT

Extrait du dossier public · Espace Go, Montréal

ENTRETIEN AVEC ÉRIC VIGNER ET MICHA LESCOT

Animateur : Pascal Paradou
Invités : Le metteur en scène ÉRIC VIGNER et le comédien Micha MICHA LESCOT

PASCAL PARADOU : Le théâtre, plus que tout autre art, est une histoire de compagnonnage où d'années en années des noms cohabitent sur une affiche, sans exclusivité mais avec insistance, et c'est le cas de l'auteur RÉMI DE VOS et du metteur en scène ÉRIC VIGNER que l'on retrouve réunis pour SEXTETT, un spectacle musical sur le sexe et le désir.

ÉRIC VIGNER : Oui, ça fait 13 ans exactement. J'avais lu sa première pièce DÉBRAYAGE, j'avais aimé ça beaucoup. J'avais beaucoup ri. Et donc, on se suit comme ça depuis un certain nombre d'années. La dernière chose qu'on a fait avant SEXTETT, c'était la traduction d'OTHELLO.

PASCAL PARADOU : Si on devait retenir un seul aspect de RÉMI DE VOS, n'utiliser qu'un seul adjectif pour qualifier son théâtre, vous diriez quoi, ÉRIC VIGNER?

ÉRIC VIGNER : Je trouve que c'est un auteur comique contemporain.

PASCAL PARADOU : « Comique contemporain» . Moi j'avais envie de dire loufoque, grave, surréaliste et
grinçant.

ÉRIC VIGNER : Ça fait beaucoup d'adjectifs (rires).

PASCAL PARADOU : « Comique contemporain ». Je ne voudrais pas être désagréable avec ÉRIC VIGNER tout de suite, mais ça veut dire beaucoup de choses et en même temps pas grand-chose. Non?

ÉRIC VIGNER : Y a pas énormément d'auteurs comiques. RÉMI DE VOS est quand même quelqu'un qui fait rire avec des sujets très graves. Donc, je trouve ça plutôt pas mal dans une période comme ça, un peu morose.

PASCAL PARADOU : C'était déjà cette veine-là quand vous avez découvert son premier texte, DÉBRAYAGE, en 1996?

ÉRIC VIGNER : C'était complètement cette veine-là, oui! DÉBRAYAGE, c'était des gens qui devenaient fous parce qu'ils avaient perdu leur travail. Donc, ils n'existaient plus dans la société. Tout d'un coup, la perte du travail était vécue comme une annulation totale de leur existence. Donc, ils partaient en vrille, comme ça, ils devenaient fous.

PASCAL PARADOU : Sujet hautement contemporain. En effet.

ÉRIC VIGNER : Oui, complètement contemporain. Et c'était sa première pièce. Moi j'avais lu ça, on va dire par hasard. Et je me suis dit, « tiens, y a quand même quelqu'un qui a écrit sur un sujet complètement contemporain ». Il est complètement en prise avec l'actualité, mais il fait rire avec ça. C'est-à-dire que tout d'un coup, ce n'était pas un point de vue politico-social bien-pensant. Je ne sais pas comment dire, il y a quelque chose de « pas-bien-pensant » chez RÉMI DE VOS.C'est-à-dire que ce sont toujours des sujets très profonds, des sujets extrêmement douloureux, graves, essentiels. Et en même temps, il arrive à faire rire avec ça.

PASCAL PARADOU : Aujourd'hui, RÉMI DE VOS est auteur associé au Théâtre de Lorient que vous dirigez, ÉRIC VIGNER, ça signifie quoi?

ÉRIC VIGNER : Bien, ça veut dire que c'est son théâtre. Ça veut dire que c'est sa maison.

PASCAL PARADOU : Vous lui donnez les clefs?

ÉRIC VIGNER : D'une certaine façon, oui. Il peut y faire ce qu'il veut. Il a créé, il y a quelques années, le Club des auteurs. Il a invité un certain nombre d'auteurs, dont le frère de Micha, David Lescot, ainsi que Marion Aubert, Nathalie Fillion, Christophe Pellet et Fabrice Melquiot. Il a réuni tous ces gens autour de lui. Il avait des filiations avec ces auteurs. Et puis ils ont animé pendant trois ans ce qu'on a appelé le Club des auteurs.

PASCAL PARADOU : Donc, c'est une petite famille d'auteurs dans un lieu. Vous prêtez le toit et ils font ce qu'ils veulent...

ÉRIC VIGNER : Le théâtre c'est toujours une histoire de famille. Les gens cohabitent par affinités. Ils se mettent à travailler ensemble et il faut un endroit pour ça. Le Théâtre de Lorient, est un endroit qui accueille un certain nombre d'artistes qui partagent des sensibilités communes.

PASCAL PARADOU : MICHA LESCOT, vous êtes donc à l'affiche dans SEXTETT, dans la mise en scène d'ÉRIC VIGNER. Mais vous avez joué dans la pièce précédente de RÉMI DE VOS. JUSQU'À CE QUE LA MORT NOUS SÉPARE, raconte l'histoire de Simon, un personnage qui enterre sa grand-mère, et qui arrive avec une urne sur scène en ne sachant pas trop ce qu'il va pouvoir faire des cendres de cette pauvre mamie. Dans SEXTETT, le même personnage enterre sa mère. MICHA LESCOT, qu'est ce que vous diriez de ce personnage qui est pour le moins fantasque.

MICHA LESCOT : Ce que je peux en dire, c'est que tout est ouvert. C'est ça que j'aime dans l'écriture de Rémi. Ce n'est pas un caractère défini. C'est quelqu'un qui perd ses repères dans la première pièce et c'est encore plus le cas dans SEXTETT. Pour moi, c'est parfait. Parce que je n'ai aucune barrière, aucune limite, je peux vraiment me concentrer juste sur mes partenaires, ce que j'ai à faire avec eux, la façon dont je reçois leurs propositions — qui sont quand même assez délirantes. C'est un personnage qui est tellement perdu à chaque fois qu'on le retrouve... Voilà, il n'a pas un caractère particulier. C'est juste un type qui réagit en fonction de ce qu'on lui propose. C'est très ouvert et c'est très bien. L'écriture est comme ça.

PASCAL PARADOU : La pièce commence avec Simon qui vient d'enterrer sa mère.

Extrait de SEXTETT :

Simon : C'est mon premier jour de deuil. C'est la première fois que ma mère meure. La première fois que j'ai fait l'amour, il y avait de la musique. Une fête organisée par mon école de commerce. Une fille de ma promotion. Elle venait de la même ville que moi. On ne s'était jamais parlé. Je n'ai pas compris son nom à cause de la musique. Elle avait plus d'expérience que moi. Elle m'a fait boire. Nous sommes montés dans sa chambre. Elle avait une chambre à l'étage. C'était pratique. Dans la chambre, on entendait encore la musique. Je lui ai demandé la permission d'éteindre la lumière. La musique était encore plus présente la lumière éteinte. Comment s'appelait cette fille ? Je ne me rappelle plus son nom. Elle a commencé à vouloir me retirer mon pull, mais je n'ai pas voulu. J'ai enlevé mes vêtements très lentement alors qu'elle s'est déshabillée très vite. Elle était déjà couchée quand je finissais d'enlever mon pull. La musique cognait contre les murs de la chambre. On aurait dit les battements d'un cœur. Mon rythme cardiaque s'est emballé. J'avais peur de ne pas être à la hauteur. J'ai voulu redescendre demander aux autres de baisser la musique. Elle m'en a empêché. Elle ne voulait pas que je sorte de la chambre. Je l'ai laissé faire. Je n'avais aucune volonté. Ma passivité a été totale. C'était la première fois. Elle était en feu.
Elle avait l'air d'une folle. J'ai pensé que j'allais mourir. Comment s'appelait cette fille? Ses parents n'habitaient pas loin. Ils doivent être encore là. Il faudra que j'aille voir le nom sur la boîte aux lettres en partant. C'est incroyable, comment s'appelait cette fille?

Une voix.

Sarah : C'est moi.
Simon : Qui ça, moi?
Sarah apparaît.
Sarah : C'est moi, ta pute. Elle sort la langue de sa bouche.
Simon : Sarah.
Sarah : Bingo.

PASCAL PARADOU : Simon retrouve Sarah. Alors, il faut que vous racontiez, ÉRIC VIGNER cette apparition, l'apparition de Sarah. Parce que c'en est une!

ÉRIC VIGNER : Si j'arrive à décrire l'apparition de Sarah à la radio... qui est quand même une apparition assez visuelle aussi.

PASCAL PARADOU : Oh oui, très visuelle...

ÉRIC VIGNER : Sarah, c'est une figure d'amour, de sexe et de mort à la fois. C'est un personnage à la Copi. Une mort complètement fantastique, loufoque, fantaisiste. C'est à la fois horrible et sublime, comme le dit d'ailleurs le personnage de Simon. Donc, il fallait trouver un personnage sur lequel on puisse projeter beaucoup de choses.

PASCAL PARADOU : Elle est habillée tout de blanc. Montée sur des talons d'à peu près 18 cm. Des seins totalement impossibles. Et un masque de latex avec des lèvres rouges, on dirait une poupée gonflable en fait. Modèle XXL.

ÉRIC VIGNER : C'est une figure de poupée. Une figure fantasmée. Ça correspond à plein de choses.

PASCAL PARADOU : On est complètement dans le grotesque.

ÉRIC VIGNER : On est dans le grotesque lorsqu'on travaille sur cette zone. Comme on pouvait l'être chez Copi. Une zone à la fois comique et tragique. Parce que l'écriture de RÉMI DE VOS a les deux aspects. C'est ça qui est intéressant, je trouve.

PASCAL PARADOU : Le comique et le tragique. Mais là, vous forcez un peu le trait, ÉRIC VIGNER, ou alors RÉMI DE VOS demande à ce que le personnage de Sarah soit aussi...?

ÉRIC VIGNER : Moi, je n'ai aucune imagination (rires). C'est écrit dans le texte. Elle est en latex. Elle est horrible et sublime. Elle fait le baiser de la mort à la fin. Moi je ne fais que lire ce que RÉMI DE VOS a écrit. Après je fais les images. Je fais les costumes. Je mets tout ça en scène. Ça part de son écriture. Je suis un metteur en scène qui travaille à partir de l'écriture d'un auteur.

PASCAL PARADOU : Alors, ce Simon, ce personnage que vous jouez, MICHA LESCOT, il va quand même faire de drôles de rencontres. Il ne fait pas que rencontrer Sarah, il en rencontre d'autres. Notamment les voisines. Alors là aussi, il faut les raconter les voisines!

MICHA LESCOT : On pourrait croire que c'est deux soeurs. Deux jumelles. On pensait aux petites soeurs dans THE SHINING [Stanley Kubrick, 1980], les deux petites filles qui apparaissent comme ça près de l'ascenseur. Là, c'est deux soeurs qui s'engueulent en anglais, qui chantent en allemand (du Schubert) pour s'excuser parce que le chien a bousillé le jardin de la maman de Simon. Tous les autres personnages sont aussi très étranges.

PASCAL PARADOU : Ils sont tous très étranges. Et puis il y a le chien, qui est en fait une chienne, qui a un corps de femme. C'est une vision de la gente féminine qui n'est pas très valorisante, non? Elles sont toutes folles à lier?

ÉRIC VIGNER : Non. Moi je trouve que c'est complètement valorisant.

Michal Lescot : Elles sont attachantes. On parlait de Sarah tout à l'heure, ce personnage magnifique que joue Johanna Nizard. Elle est très attachante aussi. Sarah, c'est une fille qui fait un petit peu peur dans un premier temps, mais elle est aussi désirable, excitante et attachante. Moi, je trouve qu'il y a de la tendresse dans ces créatures.

ÉRIC VIGNER : Moi, je trouve aussi. Il y a plusieurs aspects et je ne dirais pas qu'elles sont folles à lier.

PASCAL PARADOU : Ils sont quand même tous un peu barrés dans la pièce!

ÉRIC VIGNER : Oui, parce que c'est comme un rêve. C'est une fantasmagorie. On n'est pas dans la réalité. Les deux voisines dont on vient de parler, elles sont mortes depuis très longtemps. Quand elles apparaissent, on voit bien qu'elles viennent d'un autre espace-temps. Ce qui est intéressant dans cette pièce, c'est que tout d'un coup, il revient dans la maison de sa mère, après la mort de celle-ci, et généralement ça provoque toujours quelque chose. On est partis un peu de cette idée-là. C'est-à-dire que la mort de la grand-mère dans la première pièce, c'était assez sympathique d'une certaine façon. Mais là, la mort de la mère, ça devient quand même un peu plus fondamental. Et tout d'un coup, tout remonte à la surface. La mythologie familiale remonte, son histoire familiale, etc. Donc, cet homme est assailli par un certain nombre de créatures, mortes ou vivantes peu importe, c'est du théâtre.
C'est un peu comme dans le dernier film de Kubrick, EYES WIDE SHUT [1999], alors que Tom Cruise est tout d'un coup confronté à un certain nombre de créatures et de situations. Il est mis en demeure de choisir quelque chose. C'est un genre d'HAMLET moderne. La question qui est posée est : « qu'est-ce que tu veux devenir, qu'est-ce que tu vas être comme homme? » Là, ce n'est pas le fantôme d'HAMLET, c'est plutôt des femmes qui viennent le séduire et l'entraîner, ou pas, dans quelque chose. Il est mis en demeure de choisir quelque chose et de dépasser cette mythologie familiale qui est quand même un peu contraignante.

PASCAL PARADOU : Cela dit, les femmes de SEXTETT sont-elles des femmes?

Extrait de SEXTETT :

Jane : Votre mère n'était pas votre mère. C'était votre père. C'est avec votre père 14 que vous avez déposé les cendres. Les cendres du père de votre père.
Blanche : Votre père devenu votre mère après la mort de votre mère.
Jane : Votre père a tué votre mère. Il a pris sa place.
Blanche : Votre mère était votre père. Votre père était votre mère.
Jane : Votre père a changé de sexe après avoir tué votre mère.
Blanche : Votre père était transsexuel. Il est devenu votre mère.
Jane : Comme l'a fait son père après avoir tué la mère de votre père.
On entend Sarah chanter.
Simon : Ma mère était mon père? Sa mère était son père? La mère de mon père était mon grand-père?
Blanche : Vous pensiez qu'elle était la mère de votre mère. Mais ce n'était ni votre mère, ni la mère de votre mère. C'était le père de votre père.
Jane : Le père de votre père a tué sa mère. Et il a pris sa place. Comme votre père a tué votre mère pour prendre sa place.
Simon les regarde.
Simon : Pourquoi?
Jane : Vous faites ça dans la famille.

PASCAL PARADOU : À ce moment-là, la salle est partagée entre stupeur ou le fou rire. Alors, qui est la mère de qui, ÉRIC VIGNER? Qui est le père de qui? Y a-t-il une logique dans SEXTETT de RÉMI DE VOS ?

ÉRIC VIGNER : Ah oui, il y a une logique. C'est très logique même. C'est complètement logique. Ça peut paraître un peu étrange comme ça au fil des événements et des personnages qui rentrent en scène. Mais oui, il y a une logique. C'est une destruction de la cellule familiale. Il y a des pères qui ne veulent pas assumer leur rôle de père; qui veulent prendre l'identité des mères. On est dans une confusion, dans un délire des trans-quelque chose. On est au début du 21 e siècle. Quand je dis que c'est un HAMLET moderne, c'est dans ce sens-là. C'est que, tout d'un coup, tout est possible. Alors après, qu'est-ce qu'on fait avec tout ça? À chacun de se déterminer.

PASCAL PARADOU : Oui, RÉMI DE VOS ne donne pas de recettes, il ne fait pas la morale. Il n'est pas là avec une thèse.

ÉRIC VIGNER : Non, non! Il témoigne d'un sentiment du monde contemporain, je pense. On voit bien qu'aujourd'hui c'est plus compliqué (ou plus simple), je ne sais pas. Mais que, justement, on peut choisir beaucoup de choses.

PASCAL PARADOU : MICHA LESCOT, votre personnage de Simon dit « Je suis perturbé ». Il le dit souvent. C'est vrai qu'on le serait à moins, quand même. Comment vivez-vous Simon? Quelle logique vous mettez dans ce personnage? Dans cette pièce de RÉMI DE VOS?

Michal Lescot : Moi, il ne faut pas trop que je pense à des histoires de logique parce que si je suis effrayé — parce que c'est un peu effrayant ce qui lui arrive — et que je suis trop perturbé dans mes propositions de jeu par les filles, je m'en vais. C'est-à-dire qu'on ne comprendrait pas que ce garçon reste dans cette maison. En fait, il faut plutôt que je sois disponible, intrigué par ces propositions-là. Et il y a toujours un moment où elles me séduisent. Et j'ai envie d'y participer. Je suis obligé de rester dans un état d'éveil. Justement, le côté perturbé ça suffit. Je n'ai pas besoin de le sur-jouer.

PASCAL PARADOU : Cela dit, votre corps le raconte sur scène. On doit vous en parler tout le temps, MICHA LESCOT, mais vous avez un corps très particulier. Vous êtes comme ça... très long. Et un peu caoutchouc. Comme si vous preniez le vent. Il y a aussi un petit côté Michael Jackson.

Michal Lescot : C'est un hommage que je fais à Michael Jackson en faisant le moonwalk.

PASCAL PARADOU : Pourquoi un hommage à Michael Jackson?

Michal Lescot : Dans JUSQUÀ CE QUE LA MORT NOUS SÉPARE, je faisais un petit pas de moonwalk parce que c'est un des seuls trucs que je sais faire. Et du coup, avec Éric, on se demandait si Simon devait le refaire ou pas. Comme Michael Jackson venait de mourir, on a dit oui, on le refait. J'aimais bien Michael Jackson.

PASCAL PARADOU : Donc, clin d'oeil et hommage. Est-ce que cette façon de jouer physiquement participe de la comédie?

Michal Lescot : Ah oui, je crois. Pour moi, c'est très rassurant de faire ça. Du coup, je n'ai pas besoin de jouer une émotion trop forte si je m'écroule par terre de cette façon-là, violemment. On comprend qu'il est perturbé. Et ça me laisse libre de jouer, peut-être, autre chose. De dire autre chose. Si mon corps le joue, alors moi, je suis débarrassé de cette histoire de logique, on va dire. Et après, je peux être complètement ouvert à mes partenaires, à leurs propositions, à une espèce de fantaisie en fait. On voit bien qu'il est chamboulé par ça. Mais je préfère le montrer avec mon corps plutôt que de jouer la même chose pendant une heure et quart de spectacle.

PASCAL PARADOU : Vous ne jouez pas le pathos. De toute façon, il n'y a pas de pathos dans ce théâtre-là. Vous jouez le choc, en fait.

Michal Lescot : Exactement. Et je trouve que c'est bien plus intéressant. C'est–à-dire qu'on joue au présent. Je joue vraiment ce qui se passe, au moment où ça se passe.

PASCAL PARADOU : Et il tombe très bien je trouve, MICHA LESCOT, n'est-ce pas ÉRIC VIGNER?

ÉRIC VIGNER : C'est ça qui est terrible avec Micha, c'est que c'est un acteur totalement époustouflant.

PASCAL PARADOU : Ce qui est très important et très bien dans le cas de RÉMI DE VOS, c'est qu'il revendique vraiment le fait d'écrire des comédies. Il le dit. Il ne dit pas qu'il fait un théâtre qui est autre chose que de la comédie. Tout à l'heure je parlais de comédie noire. Je trouve que les deux mots vont bien ensemble. On pourrait dire aussi à propos de SEXETT que c'est une comédie musicale, parce qu'il y a énormément de musique. D'ailleurs, le titre dit quelque chose comme ça : SEXTETT

ÉRIC VIGNER : Il a tout un travail qui est fait à partir du texte dans le rapport que peut avoir un texte de théâtre avec la musique. En plus, on ajoute vraiment de la musique. Y a des gens qui chantent : les filles qui chantent du Schubert, Maria de Medeiros chante un fado et Johanna Nizard chante une chanson en arabe. Donc il y a vraiment de la musique. Mais le principal rapport musical est lié au texte, je crois. Il est avec les mots.

PASCAL PARADOU : On se demande ce que c'est, mais c'est absolument virtuose, je trouve.

ÉRIC VIGNER : C'est très précis. On a travaillé très précisément. On est tous un peu obsessionnels, dans cette équipe-là. Rémi, c'est un auteur obsessionnel. On a essayé de faire quelque chose qui soit vraiment précis. Qu'il n'y ait pas trop de hasard là-dedans. Bien tricoté.

PASCAL PARADOU : Mais ce qui est étonnant, c'est l'impression que les pièces de RÉMI DE VOS sont des machines à jouer. Je ne sais pas comment expliquer ça, machines à jouer...

Michal Lescot : En tout cas, pour un acteur, on lit ça et on se projette dedans. On voit autre chose que l'écriture elle-même. C'est-à-dire que c'est une espèce de truc super excitant qu'on a tout de suite envie de jouer parce qu'il y a toujours quelque chose qui sous-tend ça. JUSQU'À CE QUE LA MORT NOUS SÉPARE, c'était sur le mensonge. C'est toujours assez chouette pour un acteur une pièce sur le mensonge, parce qu'il y a une tension. Et avec SEXTETT, c'est le désir qui sous-tend tout ça. Mais une chose est sûre, dès le début on a envie de l'interpréter.

PASCAL PARADOU : Comment expliquez-vous ce besoin de comédie et de rire aujourd'hui, ÉRIC VIGNER?

ÉRIC VIGNER : Je ne sais pas s'il y a un besoin de comédie et de rire. Je n'en suis pas sûr. J'ai toujours eu l'impression qu'il y a toujours eu un besoin de rire et de pleurer. Pas plus aujourd'hui qu'avant. Mais je pense que ce n'est pas mal de s'exprimer du côté positif. Le rire c'est quand même une manifestation spontanée d'une énergie vivante, quoi. Le rire ça échappe. Les gens qui font rire sont des grands magiciens, je trouve. Parce qu'ils arrivent à sortir des individus des choses qui sont enfouies ou inconscientes. Le rire c'est une manifestation très impulsive, très vivante.

PASCAL PARADOU : MICHA LESCOT, ÉRIC VIGNER, merci d'être venus. SEXTETT se joue au Théâtre du Rond- Point. Vous serez à Montréal dès la mi-janvier. Le texte est publié chez Actes Sud Papier.

Radio France Internationale (RFI) Émission : Culture vive Culture Vive est une émission présentée par Pascal Paradou avec le concours de Florence Pons. Elle propose à son auditoire un rendez-vous culturel quotidien pour prendre le pouls de l'actualité artistique dans les capitales du monde et raconter la culture telle qu'elle se vit en France.